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marie desjardins - Page 3

  • CHRONIQUES DE POURPRE 449 : KR'TNT ! 449 : UNDERGROUND VILLEJUIF / RICHARD GOLDSTEIN / NO NAME BAND / ROCKABILLY GENERATION NEWS / MARIE-JOSEE NEUVILLE / MARIE DESJARDINS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 449

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    30 / 01 / 2020

     

    UNDERGROUND VILLEJUIF / RICHARD GOLDSTEIN

    NO NAME BAND / ROCKABILLY GENERATION

    MARIE-JOSEE NEUVILLE / MARIE DESJARDINS

     

    Underground toi-même !

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    Ils vont devenir énormes. Vous voilà prévenus. Quand on voit le Villejuif Underground sur scène, on pense immédiatement à Fat White Family, qui à leurs débuts ramenaient eux aussi une espèce de ramshakle scénique d’une fraîcheur inespérée, une façon de briser les codes et de réinventer le rock sur scène qui n’appartient qu’à eux. On croit toujours que la messe est dite depuis longtemps, depuis les Stones, le Velvet ou le punk. Faux. Archi-faux. Il existe au moins trois groupes qui ont décidé de tout réinventer : Fat White, les Schizo et le Villejuif. Il faut imaginer une réjouissante villejuiverie de weird garage funk emmenée par une espèce de McGowan blond, haut et sec, qui a toutes ses dents et qui danse le jerk des Batignolles.

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    Les Villejuif jouent sur des instruments qui viennent droit du tas de ferraille qu’on trouve au fond de la cour des Emmaüs. Installé au centre, Antonio Beltran joue sur deux petits claviers posés sur une grosse valise en fer blanc. Fuck l’esthétique ! À sa droite, Thomas Schlaefflin gratte sa gratte et programme une boîte à rythme posée devant lui sur un tabouret. Fuck la frime !

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    Quand il se trompe de séquençage, il se marre comme un bossu. Chez les cons, on l’aurait viré pour ça, mais les autres Villejuif se marrent aussi. En fait, ils n’en finissent plus de se marrer. Ils sont vraiment là pour déconner. Et puis à gauche voici le bassman, Adam Karakos, une espèce d’Ubu du funky boot qui joue sur une basse de droitier complètement inversée, mécaniques et cordes graves en bas, et sommairement suspendue à son épaule par une cravate.

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    Ah il faut le voit danser le funk de Villejuif en feu de plancher, vêtu d’une énorme doudoune en cuir fatigué, les cheveux dans la figure et drivant son punk de funk à grands pas d’éléphant, corne de gidouille, comme s’il se croyait à la cour du roi de Pologne. De par ma chandelle verte, fuck the funk ! Mine de rien, ces mecs donnent un vrai spectacle, sans même se douter de son énormité. Il n’est rien de plus jouissif que l’extravagance quand elle sonne juste.

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    Et lorsqu’on voit Nathan Roche danser le jerk des Batignolles derrière son micro, on remercie Dieu d’avoir enfin créé sur cette terre un groupe décidé à battre tous les records d’extravagance, même ceux d’Arthur Cravan.

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    Les Villejuif sont tout le contraire du groupe bien préparé et bien coiffé qui veut devenir riche pour s’acheter une piscine pleine de putes. Ils sont là pour le fun et rien que pour le fun, mais s’ils ne sonnent pas comme un groupe de MJC, c’est tout simplement parce qu’ils ont tout ce dont un groupe de rock peut rêver : le son, les chansons et la voix. Nathan Roche joue à la perfection le rôle de dynamo du groupe. Il sait en plus établir le contact avec le public.

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    Cet Australien débarqué en France depuis quelques années a zoné un moment à Villejuif (d’où le nom du groupe), avant d’aller s’installer en Ariège où, comme il le dit si drôlement dans son français bien lesté d’accent australien, il fait du saucisson avec son beau-père. Il est sur scène ce qu’on appelle une présence magnétique. Un vrai pôle à deux pattes ! Il chante en dansant et place sa voix bien au-dessus du chaos environnant, comme surent le faire en leur temps Shane McGowan ou Lou Reed, auquel les gens le comparent. Ce mec est une rock star même pas en devenir, car il se fout du rockstarisme comme de l’an quarante, il préfère s’amuser sur scène avec ses copains. Si le parallèle s’établit très vite avec Lias Saoudi, la chanteur de Fat White, c’est sans doute parce qu’ils développent tous les deux le même genre de powerhouse gidouillante dans un environnement de bric et de broc. On se croirait chez des ferrailleurs.

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    Et si le nom du Villejuif Underground nous est devenu familier, c’est bien sûr grâce au Dig It Radio Show qui déjà en 2017 diffusait «Can You Vote For Me». Mr. G aimait à raconter l’histoire d’un Nathan Roche confronté aux persécutions administratives des services d’immigration. Et tout de suite, le son du groupe faisait dresser l’oreille.

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    Alors pour en avoir vraiment le cœur net, il suffit d’écouter When Will The Flies In Deauville Drop ? On a là un big album. Eh oui, un de plus, mais que serait la vie sans tous ces big albums ? Pas grand chose. Une sorte de mauvaise plaisanterie. Ce sont précisément les big albums qui rendent plaisante cette mauvaise plaisanterie. Quel plaisir que de retrouver «Can You Vote For Me» et sa harangue de Vote for me/ Vote for me ! Voilà un cut qui part en mode post-punk et qui devient vite le meilleur cru du cru du l’eusses-tu-cru, quasi-Casimodal, garage d’essence inflammable, punk de MJC branlante, branlette de razzmatazz d’extase, Vote for me/ Vote for me ! Là oui, on vote. Et quand Nathan Roche jerke son vote for me, il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Ils jouaient aussi ce qu’ils appelaient le château sur scène, un «Haunted Chateau» amené au heavy groove de choo choo train fantôme de Fantomas. Ces mecs sont épouvantablement drôles, Nathan Roche chante comme un Comte Orloff qui aurait trop bu, il valse avec son candélabre au fond de sa crypte et fait des efforts considérables pour se montrer inquiétant. Mais c’est le big laugh d’Orloff sur le plat, ce singer stomachal qu’est Nathan Roche nous fait un numéro de cirque à peine croyable. Et quand on entre dans l’album par la grande porte d’airain, on tombe sur un «John Forbes» chargé de son comme une mule et titillé à l’arpège envenimé. Ce démon de Nathan Roche enfonce son clou, avec la persévérance d’un Lou Reed, dark & deep. Ils tarpouillent le relentless comme ces champion éthiopiens de la course à pieds, en travaillant leur souffle méthodiste aux aplanages des hauts plateaux, avec cette énergie primitive dont rêvèrent certainement en leur temps Pierre de Coubertintin et son vieux Milou. Ils enchaînent sans coup férir avec «I’m Sorry JC». Nathan Roche saute en croupe du groove pour le chevaucher non pas à travers la plaine, mais à travers le bush, histoire de rappeler qu’il vient d’un pays gouverné par les kangourous. Tagaga, c’est tout un art, les gens ne se rendent pas compte. Ils croient que c’est facile, mais non, il faut savoir crier yahoo Rintintin !, en allumant le gueule d’un groove, comme le fit Lou Reed au temps béni de «Sister Ray». Ils profitent de cette escapade pour basculer tous les quatre dans l’énormité.

    C’est sans doute à cause d’un cut comme «Post Master Failure» qu’on les range dans le pot post-punk, mais comme Houdini, ils s’en évadent. D’ailleurs, ils s’évadent de tous les genres. Les Villejuif ne sont pas des gens prêts à accepter l’étiquetage. Pas de danger qu’ils aillent se vautrer dans l’electro-pop à la mormoille. Ils préfèrent tailler la route à coups de shooo ah ah ! Nathan Roche drive son post master failure ah ah en parfait expert. Son «Come Back Special» ne doit rien non plus à Elvis, il joue sa carte à la mode ancienne, c’est-à-dire à mains nues. Il n’a que son beat et son couteau à huîtres d’Oléron. Et comme il adore les animaux, il passe au heavy groove de crocodile avec «Subterranean Skies». Croutch ! Il bouffe son Subterranean dylano-Nick-Kentish tout cru. D’ailleurs, il chope tout ce qui traîne dans les parages, même les grooves ordinaires qui essaient de passer inaperçus. Il joue merveilleusement bien son rôle de croco crâne d’œuf Orloff à la coque. Il ne fait qu’une bouchée de «Wuhan Girl», heavy on the beat, ses dents luisent au clair de la lune. Il est sans doute le seul à pouvoir chanter des trucs pareils aujourd’hui, maintenant que Lou Reed, Cash et Sleepy Labeef se sont fait la cerise. Il sait aussi faire son Hannibal on est mal quand ça lui chante, en faisant avancer ses troupes à marche forcée. Cornegidouille ! Quand on écoute «Backpackers», c’est un peu comme si on les voyait grimper un col des Alpes en plein hiver, montés sur des éléphants.

    Signé : Cazengler, undercroûte

    Villejuif Underground. Le 106. Rouen (76). 24 janvier 2020

    Villejuif Underground. When Will The Flies In Deauville Drop? Born Bad Records 2018

     

    Weird scenes into the Goldstein mine

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    Qui ? Richard Goldstein ? Inconnu au bataillon ! Son nom surgit au détour d’un radio show, fin 2019. Pas n’importe quel radio show, the mighty Dig It Radio show. Mister G. reçoit ce soir-là deux invités, l’éditeur et le traducteur d’un recueil de mémoires signé Richard Goldstein, journaliste américain. En anglais, l’ouvrage s’intitule Another Little Piece Of My Heart/ My Life In Rock & Roll In The 60s, en devient en français Rock & Révolution/ Mes Années 60. Dans l’opération, on perd le petit côté Joplin, mais on gagne un peu en politique, ce qui tombe à pic car l’ami Goldstein se préoccupait à l’époque de sa jeunesse autant de politique que de rock music. Il n’emploie pas le mot révolution par hasard.

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    Souvenez-vous : dans les années soixante, militantisme et rock marchaient de pair pour beaucoup de gens. Richard Goldstein rappelle les noms d’Ed Sanders (Fugs), du MC5 et d’Abbie Hoffman à notre bon souvenir, des gens qui furent extrêmement impliqués dans le bras de fer engagé par la jeunesse américaine avec le despotisme des pigs, car oui, c’est ainsi qu’on appelait les flics aux États-Unis, et l’un des slogans les plus célèbres fut sans doute Kill the pigs ! Goldstein rappelle que la culture rock, la vraie, celle des rues (et non celle de la Fnac), se nourrissait d’une haine viscérale des flics. Il faut se souvenir du dialogue fatal dans La Haine, de Mathieu Kassovitz avec ce flicard qui dit au black : «On est là pour vous protéger» et le black qui lui répond du tac au tac : «Mais qui nous protège de vous ?». Dans les années soixante, Richard Goldstein et des millions d’autres kids à travers le monde militaient contre la brutalité policière. En France, on gueulait «CRS SS !», car c’était une réalité. Aux États-Unis, les kids avaient encore plus de chats à fouetter avec deux luttes combinées, celle pour les droits civiques des pauvres nègres et l’autre contre cette phénoménale infamie que fut la guerre du Vietnam, une guerre d’Algérie à la puissance mille. L’horreur totale.

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    Si le récit de Richard Goldstein nous tient par la barbichette, c’est sans doute parce qu’on le sent passionné par son engagement, même si sa vraie passion reste l’écriture, mais il la met au service de cette révolution culturelle qu’on appelle communément le rock. Il vit cette révolution en direct, d’abord à New York, puis à San Francisco et à Chicago. Plutôt que de devenir écrivain, il opte pour le journalisme et comprend assez vite que pour faire ce métier, il faut savoir se fondre dans son sujet. Summer of love ? Okay, no problemo, Richard devient hippie. Il se laisse pousser les cheveux et traîne avec les drop-out de San Francisco. Il voit des groupes, prend des drogues et baise des gonzesses. Il participe au grand Trip californien.

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    Il comprend très vite que la musique fédère les gens. Elle est pour lui comme pour tous les autres kids «un moyen de savoir qu’on est pas seul». Comme il grandit à New York, il démarre avec les Ronettes, les Shirelles et Dion qui, comme lui, vient du Bronx. Des références qu’on retrouve bien sûr à la racine du mythe des New York Dolls. Richard tape dans le mille en consacrant son premier article aux Shangri-Las, «quatre gamines du Queens qui pouvaient se déhancher tout en se refaisant le chignon» et s’initie à l’underground militant en rencontrant Ed Sanders dans la fameuse librairie de la Dixième rue, Peace Eye Bookstore. Comme il jouit du privilège de vivre à New York, ce gros veinard de Richard voit les Primitives qui vont devenir le Velvet. Il en profite pour dresser une belle apologie de Lou Reed, «qui donnait à sa poésie une grâce bancale et à sa voix grincheuse un aspect brut, tout comme le journalisme avait simplifié ma prose». Il passe tout naturellement du Velvet à Andy Warhol, qui selon lui, «façonna la culture du futur».

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    Richard ajoute : «Entre ses mains, chaque moyen d’expression était une orthodoxie attendant d’être réformée.» Tout ce qu’il dit de Warhol sonne étrangement juste. Il voit en Warhol l’inventeur d’une nouvelle éthique de l’art : «Tout à coup vous étiez le produit de votre propre création.» - On croirait entendre Bowie, you can be a hero/ Just for one day - Richard va loin, car à travers Warhol, il fait l’apologie d’une certaine forme de ‘perversion’ (il n’est pas certain que le mot français soit bien choisi). On a eu tendance à oublier le rôle considérable qu’a joué Warhol dans le processus d’émancipation de la jeunesse américaine. Il a zigouillé plus de tabous que n’importe quel autre maître à penser de l’époque, y compris Dylan. On a pris pleinement conscience de tout cela en visitant l’expo Velvet, à la Philharmonie de Paris en 2016. L’expo racontait en fait de l’histoire d’un mouvement artistique aussi complet que purent l’être Dada ou le Bauhaus, et dont le Velvet n’était que l’une des composantes. Tiens, on parlait de Dylan. Richard le salue à sa façon, le hissant sur le même piédestal que Warhol et Godard, un Dylan capable de tout avaler et doté d’un féroce appétit. Richard réussit à le rencontrer dans sa loge, mais il n’ose pas lui parler. Ils ont un échange assez surréaliste. Dylan lui dit : «J’ai beaucoup entendu parler de vous», à quoi Richard le tracard répond : «Moi aussi.»

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    Il évoque aussi le Brill, mais sans y entrer. Il connaît l’adresse et pour le reste, débrouille-toi avec le book de Ken Emerson, Always Magic In The Air. Richard en pince surtout pour John Lennon et pour son côté working-class hero, une classe ouvrière dont il se réclame lui aussi. Quand un mec abat Lennon devant le Dakota en 1980, Richard fait une gosse déprime. Il cite d’ailleurs Robert Christgau : «Pourquoi est-ce toujours Bobby Kennedy ou John Lennon ? Pourquoi n’est-ce pas Richard Nixon ou Paul McCartney ?». Tiens voilà un autre pacha new-yorkais : Jerry Wexler qui prédisait l’avenir en annonçait la fin du r’n’b, avec l’arrivée des sons synthétiques et «une précision de la tonalité qui allait tuer l’imperfection essentielle à la Soul». «Plus de backbeat», lance Wex lors de l’entretien qu’il accorde à Richard.

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    Son voyage à travers l’âge d’or des sixties se poursuit avec les Beach Boys dont il célèbre l’hédonisme poppy («Je ne pense pas qu’on puisse faire mieux que Fun Fun Fun/ Till your daddy takes the T-Bird away.»). Ce veinard de Richard va même rencontrer Brian Wilson, et tous les fans des Beach Boys devraient se régaler du compte-rendu de cette entrevue, avec notamment un Richard qui se croit malin comme un renard en demandant à Brian si Fauré compte parmi ses influences et un Brian qui tire une méchante gueule et qui répond : «Jamais entendu parler de ce gars-là». Comme il traîne sur la côte Ouest, Richard le veinard en profite pour rencontrer Jim Morrison, un mec «assez doué pour les concepts philosophiques», à l’imagination «vagabonde» et quand Morrison lui fait l’apologie du chamane, Richard le veinard flashe. Selon Morrison, le chamane est un individu hors normes qui va devoir s’intoxiquer pour raconter son voyage aux gens de la tribu.

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    Weird scenes into the gold mine. C’est exactement ce qu’il va faire avec les Doors : raconter son voyage aux gens de la tribu, c’est-à-dire nous, les fans des Doors à travers le monde. Par contre, Richard le veinard se montre moins charitable avec Jimi Hendrix. Lorsqu’il le rencontre, Jimi a «du vomi séché sur sa chemise». Du coup, il s’abstient de publier l’article, car il ne veut pas faire ombrage à sa réputation. Mais en rapportant cet épisode malheureux, le mal est fait. L’évocation de Jimi Hendrix est son premier faux pas. Hendrix ne saurait se limiter à une histoire de vomi. C’est absurde. Mais en même temps, Richard le veinard épingle un aspect fondamental de sa démarche journalistique qui est celle de l’éthique. Au contraire de la grande majorité des journalistes, il refuse de traiter ses sujets «comme des morceaux de viande».

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    Il se lie d’amitié avec Janis Joplin qu’il aurait voulu «pouvoir sauver». Janis incarnait à ses yeux «la promesse des années soixante - et leur tragédie». Mais ce qui sous-tend l’ensemble du récit, c’est une passion viscérale pour l’écriture. Jeune, Richard le vantard décide de devenir le James Joyce du Bronx. Il n’y va pas avec le dos de la cuillère et il a raison. Ça s’appelle avoir de l’estomac. Et sans estomac, on ne va pas loin. Il se heurte très vite au monde de l’édition : «Nous sommes là par amour des mots et par besoin d’attention, eux sont là pour l’argent.» Il se passionne pour l’enfant terrible du Nouveau Journalisme, Tom Wolfe, puis pour Norman Mailer, «un fauve terrifiant qui peut être l’égal des dieux de la guitare». Disant cela, Richard le renard met le doigt sur un point capital : la parenté qui existe entre les géants de la littérature, du cinéma et du rock. C’est la même énergie. Il dit avoir «aiguisé ses lames sur la meule de Norman Mailer». Puis il voit les écrivains américains devenir des personnages médiatiques, c’est-à-dire sachant manipuler les médias : Mailer en premier, puis Andy Warhol, Gore Vidal, Truman Capote et celui qu’on aurait tendance à oublier facilement, Marshall McLuhan, «un érudit de James Joyce devenu un savant des médias». Richard le thésard le situe ainsi : «Il incarnait le style de la pensée fluide dont l’époque raffolait». Et il continue de le rouler dans sa farine en constatant que plus personne ne le cite aujourd’hui, «sauf dans les cours de communication», et pince sans rire, il ajoute : «Ça en dit long sur la qualité de sa pensée». McLuhan prévoyait l’avenir de médias, longtemps avant Internet et il inventa un nouveau rôle, «celui de gourou médiatique» - Gotta get a goulou-goulou, braille Eric Burdon dans «Year Of The Guru» -

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    Beaucoup plus flatteur est le chapitre que Richard consacre à Susan Sontag (qu’admirait aussi Eric Burdon) - Elle appelait l’Amérique le cancer de la civilisation occidentale - Bien vu, Susan ! Et Richard en rajoute en disant d’elle qu’elle «privilégiait la sensualité au détriment de la moralité». Il finit l’éloge à Susan en recommandant chaudement la lecture de son traité d’éthique, Sur la Photographie. Par contre, pas de pitié pour Timothy Leary - Il avait le regard vaseux et de la merde de pigeon séchée sur son pull - Aïe, ça commence mal ! Richard le soupçonne de s’être fait renvoyer d’Harvard à cause de «sa médiocrité intellectuelle». Il parle d’un discours en forme de «ramassis d’idées flottantes dans la soupe culturelle». Richard le revanchard se prend pour Léon Bloy ! Il taille à la hache : «Comme tout intellectuel célèbre, il était lisse et télégénique». Et pouf, Richard le hussard inscrit Leary dans la lignée de McLuhan «qu’il admirait jusqu’à un certain point». Mais Leary rêvait surtout de voir McLuhan sous LSD. Un Leary qui disait le monde coupé en deux, d’un côté «ceux qui sentaient la vérité» et de l’autre «ceux qui la saisissaient pleinement sous acide». Visiblement, Richard ne supporte pas les théories psychédéliques de Leary qui déclarait par exemple : «L’art doit faire appel aux sens. Chaque drame original est psychédélique». Pour illustrer son propos, Leary expliquait que le théâtre était à l’origine une expérience religieuse, ce qu’avait très bien compris Artaud. Comme il a de la suite dans les idées, Richard recroise Leary avec Jim Morrison, «toujours cette satanée routine du chamane» puis achève la pauvre Leary ainsi : «Il était aspiré dans le vortex de son époque, la conviction que ses pulsions comptaient plus que le raisonnement». Puis vient le coup de grâce : «J’étais habitué à ce type de d’illusions mais mon expertise se cantonnait à la culture pop. La sienne concernait la mort de l’esprit». Amen.

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    Peut-on parler de Richard Goldstein comme d’un écrivain ? Oui, car il use et abuse de cette manie de l’introspection typique des grands écrivains américains. Il parle autant de lui qu’il parle des autres, mais c’est une façon de mieux le connaître, comme si on entrait dans son texte par l’intérieur. On entre chez Henry Miller de la même façon, par l’intérieur de sa pensée. On sait à peu près tout ce qu’il faut savoir de Miller avant qu’il ne parle des putes qu’il fréquente à Clichy ou a New York. Et bien sûr, cette manie de l’introspection vient en droite ligne de Joyce et de Proust qui firent de ce regard porté sur soi un genre littéraire à part entière. Un genre que Céline va transfigurer, pour le seul bonheur des amateurs d’apocalypse.

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    Bon alors, et la politique dans tout ça ? Pour Richard, le rock fut essentiellement une force révolutionnaire. Il a vécu ce mouvement social en direct. Vers la fin du récit, il décide que «le rock cesse d’exister en tant que force révolutionnaire» ce jour du printemps 1968 où il entend «MacArthur Park» à la radio. Dommage, car il avait réussi à rencontrer tous les grands acteurs de cette révolution, en commençant, par Abbie Hoffman, qui fut mordu par des chiens policiers. Richard cite le portait qu’a fait Avedon d’Abbie et pouf il embraye aussi sec sur la Convention démocrate de Chicago en 1968. Abbie Hoffman et Jerry Rubin y organisèrent des manifestations, Country Joe McDonald et le MC5 tentèrent d’y participer. C’est peut-être dans le récit de ces événement marqués par une spectaculaire violence policière que l’ouvrage de Richard le tricard prend tout son sens. Il parle d’un climat de guerre civile. Il rappelle que Country Joe fut agressé dans son hôtel par des gens portant des brassards. S’ensuit un bel hommage hélas trop court au MC5, sans doute le groupe le plus habilité à illustrer le thème ‘rock et révolution’. Écœurés par les politicards, les kids présentent leur candidat à la convention, un cochon nommé Pégase. On assiste en direct à une extraordinaire flambée de violence - Kill the pigs ! - Les kids s’arment pour le combat de rue et Richard le soudard s’enroule la tête dans une écharpe mouillé pour pouvoir supporter les lacrymo. Les pages qui relatent ces événements renvoient bien sûr à celles de l’autobio de Mick Farren, lui aussi équipé pour se défendre des flics anti-émeutes anglais montés sur des chevaux et armés de longues matraques. Richard clôt le chapitre des événements de Chicago en rappelant qu’Abbie Hoffman s’est suicidé en 1980 - La Révolution fut une échappatoire cruciale pour lui, plus encore que pour moi. Quand elle se termina, il perdit sa meilleure défense. Et moi aussi - Voilà une façon très élégante d’exprimer la profonde désillusion qu’ont vécu tous les militants de la grande époque. Mais comme le rappelle Wayne Kramer dans son autobio, tous ces kids éprouvèrent l’incroyable fierté d’avoir lutté pour les droits civiques et contre la guerre du Vietnam.

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    À la question : «Faut-il lire ce livre ?», la réponse est oui. Mille fois oui. D’autant plus qu’il est traduit en français et que Nicolas Mesplède s’est battu pied à pied avec son texte. Cling clong ! De taille et d’estoc.

    Signé : Cazengler, Richard Goldmiché

    Richard Goldstein. Rock & Révolution. Mes Années 60. Les Fondeurs de Briques 2019

     

    TROYES / 25 – 01 – 2020

    3 B

    NO NAME BAND

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    Teuf-teuf du retour. Je médite. Sur les méfaits du sport national. Non, ce n'est pas le foot. Mais l'apéro. N'ayez crainte je ne me lance pas dans une croisade anti-alcooliques. D'abord parce que tout le pays se dresserait contre moi comme un seul homme. Je me dépêche d'ajouter : comme une seule femme. Cette dernière comparaison pour le lectorat féminin ( ô combien irremplaçablement charmant ) de Kr'tnt ! Ce sont les révélations de Béatrice, la patronne du 3 B, juste avant que je ne parte qui m'ont poussé dans cette méditation ultra-méditative. Figurez-vous que voici quelques semaines la bande du B 3 s'était donnée rendez-vous pour partir en concert, le destin aux ailes de fer ne l'a pas voulu, comme ils étaient légèrement en avance, ils ont décidé d'un petit apéro avant l'envol. Vous devinez la suite, l'escadrille du B 3 n'a jamais quitté son tarmac.

    Ce genre d'incident n'est pas réservé aux amateurs de rock. C'est la conversation qui s'ensuivit qui concerne directement cette chronique. En gros cela a vite tourné autour de la formation idéale du french rockabilly band. Dans la vie il ne suffit pas de réfléchir : il est nécessaire d'agir. N'est-ce pas Karl Marx qui a répondu à cette angoissante question : comment l'homme connaît-il le goût de la pomme ? Tout simplement en la goûtant ! Bref voilà pourquoi durant la soirée nous avons assisté au premier concert de ce groupe mythique nommé le No Name Band. En fait c'est le deuxième car la premier fut plus informel, mais là ils étaient tous là, facile pour les quatre premiers qui crèchent dans la région parisienne, mais le cinquième l'est arrivé tout droit de Nantes en début d'après-midi.

    THE DREAM TEAM

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    Difficile de se frayer un passage dans le 3 B rempli comme un nid de guêpes. A croire qu'ailleurs l'on s'ennuie un tantinet dans la bonne ville de Troyes en fin de semaine. Plein partout, même sur la scène. Si bien qu'en plus du No Name Band l'on a eu droit au drummer invisible. Ce n'est pas de sa faute à cet innocent bambin. Ce n'est pas non plus que Béatrice la patronne aurait disposé un paravent japonais devant lui pour faire plus joli. Heureusement qu'il quémandait régulièrement au micro s'il pouvait avoir '' un petit peu de la bière'' au moins l'on était sûr qu'il ne s'absentait pas en douce dans l'arrière-cuisine profitant honteusement du mur de séparation qui nous cachait sa silhouette. Je reviendrais plus tard sur la nature de cette frontière infrangible. Soyons franc, il ne s'est pas dérobé une seconde à sa tâche. Mais voyez-vous le pauvre Philou, l'a joué le rôle du prolétariat anglais qui au dix-neuvième siècle, à grands coups de pics dans les galeries des mines de charbon, a trimé durant des journées de quatorze heures pour créer les richesses de la britannique nation dont d'autres que lui profitaient. ( Toute coïncidence avec la réalité de nos jours n'est sûrement pas un hasard malheureux de l'Histoire ). Donc Phil, de l'ancien et légendaire Ghost Highway, à la batterie.

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    A peine vous ai-je refilé le nom de Phil, que vous ne pensez plus qu'à sauter le mur pour savoir qui qu'y a devant. Un véritable gentleman. Lui n'a pas tenté de blackbouler son copain. L'aurait pu, avec sa grosse contrebasse aussi noire qu'un cercueil, il vous aurait rayé le Phil de la surface de vos yeux. Non seulement, il s'est serré sagement dans un coin mais lorsque ça chauffait grave, il allait se ranger à côté de son camarade, manière de montrer au monde entier qu'ils étaient bien deux à la rythmique, bref cet homme de cœur qui n'oublie pas son copain, il est juste que son nom soit écrit en lettres d'or, c'est Thierry '' Try Rock'n'roll '' Gazel, je ne vous cite qu'un seul de ses anciens hauts faits, l'a officié dans les Four Aces, nous avons assisté ( voir KR'TNT ! 362 du 22 / 02 / 2018 ) au dernier concert de cette formation de haut calibre.

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    Pour le mur du son devant. C'est très simple. Une + Une + Une. Guitare + Guitare + Guitare. Guild + Gretsch + Squire. Non, vous ne phantasmez pas. Pas une, pas deux, mais trois leads. C'est cela le monstre à trois têtes, le Cerbère orphique sorti de brain storming totalement tordu des mordus de la bande au 3 B. Trois guitaristes, alors qu'un généralement fait très bien l'affaire. N'ont pas pris des brelles. Ni des tocards de la dix-septième division des bras cassés. Dans l'ordre alphabétique : Franky Gumbo, ancien guitariste des Capitols, pas besoin d'en ajouter davantage, Mister Jull un des esprits de la Highway mythique, and last but not the least, Raf la rafale, le guitar-hero des Atomics.

    Voilà les présentations sont terminées. Mais comme vous êtes toujours pressés, vous voulez les entendre jouer tout de suite ! Pauvre de moi, la vie d'un rock-kronikeur n'est pas de tout repos.

    NO NAME BAND

    Les moutons à cinq pattes obtenus par manipulations génétiques ne sont pas obligatoirement ceux qui marchent le mieux. Dès les premières notes No Name Band n'a pas éprouvé de difficultés particulières pour galoper à fond de train ( kept-a-rollin' ) sur les sablières cahoteuses de ce que l'Empereur Julien, appelait la piste des onagres. Z'avaient pas effectué trois enjambées que déjà l'on était en plein pure rockabilly.

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    Désignons le coupable. Thierry. Le thierryble. Pour comprendre la nature du rockabilly, quelques explications sont nécessaires. Vous connaissez le shuffle du blues. Une fois que vous êtes embarqué, vous n'avez plus qu'à vous prélasser sur la banquette. Le balancement régulier du wagon, vous emmène dans une douce somnolence, vous n'êtes pas totalement endormi parce qu'il y a un mec quelque part qui braille toutes les misères du monde, mais ce n'est pas grave, vous avez l'impression de régresser dans le ventre de votre maman, elle vous promenait au travers des horreurs de l'existence mais vous étiez en sécurité, les portes du paradis s'étaient refermées sur vous et là tout n'était que luxe, calme et volupté, ainsi que le nota Baudelaire. Ben, le rockabilly, c'est exactement la même chose. Tout à fait pareil. Complètement identique. A part que c'est plus mouvementé. C'est très simple, vous montez en courant un escalier de quarante étages poursuivis par une horde de mort-vivants qui veulent à tout prix que vous les rejoigniez, vous sentez que votre cœur est prêt à exploser, mais arrivé tout en haut la porte est fermée et vous n'avez plus qu'à redescendre par les escaliers de secours extérieurs. Evidemment vous les dévalez sur le dos et à chaque palier vous vous rompez une vertèbre. J'ai oublié de le préciser : le rockabilly, c'est un peu plus sauvage que le blues. Bref pour vous permettre de traverser ces cascades cahotiques, vous avez besoin d'un contrebassiste qui vous caoutchouctise vos rebondissements, c'est Thierry qui se charge de cela. Sa contrebasse halète comme le mufle d'un taureau furieux qui vous poursuit dans l'arène. Impossible de fuir ou de vous arrêter. La corne du rockabilly vous pique les reins et vous n'y pouvez rien. Inutile de jouer au plus malin, de ruser, de tourner brusquement à gauche ou brutalement à droite, furax le fauve vous suit de près, vous marque à la culotte, et ne vous laisse plus en repos.

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    Le pire est toujours certain. Déjà que vous n'arrivez plus à vous défaire des entrelacements des serpents thierryfiques qui vous suivent partout, voici que Phil à qui vous ne demandiez rien se radine. Encore un adepte du tchac-à-tchac, mais ce qu'il préfère c'est le poum-poum, agrémenté des sonnailles de ses cymbales. Méfiez-vous de son sourire. Genre mec occupé qui ne fait pas attention à vous. Mais l'œil aux aguets sur les trois guitares et puis cette narquoiserie innocente, mine de rien, d'augmenter la cadence. Et le volume sonore. Il est comme cela le Philou, ce ne sont pas trois malheureuses guitares qui vont se prendre pour la sainte trinité, c'est lui qui distribue l'extrême-onction, davantage à coups de sabre que de goupillon. Malgré cela, ça se goupille plutôt très bien pour les guitares, Thierry et Phil sont de véritables pousse-au-crime, ah, vous vouliez jouer et bien chantez maintenant !

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    Quand il y en a pour un, il n'y en a pas généralement pour trois. C'est au moment de se partager le gâteau que les ennuis commencent. Mais l'on n'a pas affaire à d'innocents gratteux bleus qui ne sont jamais sortis de chez eux. Si le corbeau a un seul fromage pour deux renards, l'est sûr que ça va mal tourner. Il existe une parade. Simple mais il faut avoir la combine. Je vous révèle le secret. Pas uniquement un seul calendos. Pas uniquement un seul baba au rhum. Mais une infinité inépuisable. Alors tout s'éclaire, quand il y en a pour un, il en reste pour les autres. Le petit Jésus il a appelé cela la multiplication des pains. Eux, ce sera la multiplication des sets. Les trois sets réglementaires du 3 B ils les ont pulvérisés. Faudra rebaptiser le bar, désormais ce sera le 5 B. Et pas des zigouigouis minuscules aussi courts qu'un ver de terre qui gigote au bout de l'hameçon, eux ils sont pour les anacondas géants de trente mètres minimum. Y a en eu un quatrième. Presque aussi reptilien que les trois premiers mis bout à bout. Un truc rapide qu'ils avaient dit. Tu parles, Charles, ils avaient la gaule. On a commencé à s'inquiéter pour le cinquième quand on a vu Béatrice foncer au premier rang. Elle allait leur demander d'arrêter, de stopper tout de suite, les morigéner sans se gêner, leur rappeler les horaires, le règlement municipal, la ronde des polices, point du tout les toutous, elle s'est mise à danser comme une folle ensauvagée, sauf le respect que je lui dois.

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    On y était pour quelque chose, on n'était pas les derniers à réclamer un petit supplément, et puis ces filles qui criaient si forts que parfois on ne les entendait plus, les gars ont dû se sentir galvanisés. Mais revenons à nos guitaristes. C'est Franky qui s'est lancé le premier. Chant et guitare. De toute beauté. Le son américain sur toute la ligne. Plus vrai que nature. De l'autre côté de l'Atlantique, certains ont dû mal le vivre. L'a cassé une corde celle du bas. Celle du haut c'est Raf qui s'en est chargé. Parce que si vous croyiez que les deux autres zigoguitars comptaient les mouches pendant ce temps, vous vous trompez. Intervenaient à tout moment. Ce qui ne veut pas dire n'importe quand. Bien sûr que toute la soirée ils se refilaient les solos comme les grands-mères attentionnés s'échangent le bébé, ça c'est facile, deux la mettent en sourdine et le pote se débrouille très bien tout seul. Le fun du fin au fond c'est d'intervenir au bon moment, pour signifier, exacerber encore plus amplement ce que le copain est en train de faire, parfois bien sûr on repique ce que le flamboyant vient de trastéger, chacun y va de sa surenchère, mais attention c'est du rockab, l'on ne brode pas à l'infini comme dans le jazz, l'on ne s'enroule pas dans la couverture de la virtuosité, l'on préfère le flip-flap arrière ou le saut de la mort au trampoline, mais le plus goûteux, c'est comme dans les ateliers de la Renaissance, vous avez un gars qui peint un cheval blanc, et son alter-ego qui rajoute sur la patte arrière une minuscule tâche rouge qui donne à l'ensemble du canasson un extraordinaire relief. Trois musiciens trois styles. Franky, comment s'y prend-il pour raccourcir ses phalanges comme cela, l'on dirait qu'il n'a plus de doigt et pourtant ça court de tous les côtés. Tout le contraire de Jull dont les digitaux tentacules barrent toute la largeur du manche, un peu comme sur les photos de Robert Johnson.

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    Quant à Raf, il les jette sur ses cordes comme des avions de chasse qui attaquent en piqué, oiseaux de proie qui s'abattent sur une malheureuse musaraigne. Faut que ça saigne. L'est beau Raf, la plus belle rock attitude, très rentre dedans, du sauvage, le vocal qui sarcle la hargne, la guitare qui allume les incendies dans les titres de Chuck Berry, et tous les autres qui balancent ce tempo de navire qui vient de toucher un récif sur Brown Eyed Handsome Man.

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    Une merveille cette soirée. Z'ont mouliné tous les classiques. Ah ! Ce Franky, l'est comme ces garçons de café qui vous apportent la note juste, vous êtes obligés de lui laisser le royal pourboire de la reconnaissance absolue, l'a le secret de vous servir dans l'alcool qui tue, la petite goutte de venin de crotale qui vous réchauffe le sang et vous désagrège le foie en moins de trois secondes.

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    Jull plus réservé. Un pas un arrière. Comme ces athlètes de l'Antiquité qui prenaient le temps de bander leurs muscles, de se concentrer, et puis l'attaque imparable. Réfléchie. D'une seul coup de poing. Le taureau du sacrifice s'effondrait mort. C'est après que l'on s'aperçoit du résultat, et que celui-ci a été préparé par la beauté du geste. Ce n'est pas la force qui tue. Mais l'intelligence assénée à bout bras. Et puis la rage du chant. Et là c'est tout le contraire. Comme la voix s'est renforcée de furiosité depuis les Ghosts, elle éclate, elle se presse, elle éructe et c'est elle qui mène et pousse les doigts. Dans la salle l'on frise le Parthénon ! Le rockabilly bouscule les digues, et lorsque le torrent s'arrête, un dernier coup de bigsby prolonge le débordement et vous entendez comme un feulement encoléré de tigre énamouré dont vous venez d'abattre la femelle. C'en est fini pour vous. Mais vous n'échangeriez cet instant ni pour un cheval, ni pour un empire.

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    Reste l'angoissante question subsidiaire à trancher : était-ce vraiment le meilleur groupe de rockabilly hexagonal ? Peut-être que oui. Peut-être que non. Ce qui est sûr c'est qu'ils ne sont pas passés loin du cœur de la cible. En tout cas une exceptionnelle réunion émulatrice de complices survoltés. Et c'est là le plus important, avec ce public chaud de braise, qui est reparti avec les oreilles pleines de rêve.

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    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Christophe Banjac / Béatrice Berlot 

    Audrey Demange / Valérie Horn )

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N°12

    JANVIER / FEVRIER / MARS / 2020

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    Tiens, il y a le feu à la boîte à lettres. Pas de panique, c'est le nouveau Rockabilly Generation qui est arrivé. Tout beau comme une pin-up en tutu rose transparent, les jambes ouvertes sur le capot d'une pink thunderbird. Ne rêvez pas, c'est juste une métaphore, sur la couve c'est Graham Fenton moins affriolant que notre évocation, mais le regard empreint d'une telle passion inextinguible pour le rockabilly que vous avez envie de sauter directement sur l'interview. Attardez-vous tout de même sur la génération montante, celle de Thomas Pichot des Drifting Sailor, très belle pleine page photo country-style de Sergio Katz.

    Dominique Faraut nous conte la carrière de Graham, des Houseshakers, qui accompagnèrent Gene Vincent, à Matchbox, un des groupes phares du renouveau Ted, que l'on ne présente plus. Je vous laisse découvrir l'interview réalisée par Bryan Kazh, toute l'histoire du rock défile là-dedans, avec peut-être encore plus essentiel celle d'un homme qui sait faire la part des choses.

    Béthune Rétro dédié aux vingt ans des Hot Chickens, le show explosif de Jake Calypso, mais aussi la présence de Viktor Huganet, Tony Marlow, Didier Wampas, Didier Bourlon ( premier guitariste des Hot Chickens ), Crystal Dawn, et quelques autres dont Don Cavalli, le Cat Zengler vous a relaté son concert dans notre livraison 428 du 05 / 09 / 2019.

    Relation de Dance on border line 10, avec Captain Dock, Ray Allen and his Band, Marcel Riesco, et le dernier concert de Dylan Kirk avec les Starligths. Toujours en Bretagne, une région chère à Sergio Kazh, le compte-rendu de Rock'n'Roll in Pleuguenec featuring Greaser Rockers, Joe Fury, Kick'Em Jenny, et l'on arrive à la chose triste. Le Rock'n'roll Weekenders, festival de trois jours ( nous ne retiendrons que Darrell Higham et son Gene & Eddie Show ) qui ne déçut pas son public mais qui quinze jours après sa fin vit la disparition de Dominique Rouaud, le Grand Dom, décédé à cinquante-cinq ans. Toute une vie au service du rockabilly, emportée en quelques jours. Bel hommage de Sergio, qui rappelle l'homme qu'il fut, tout d'une pièce, qui ne transigeait jamais avec ses rêves. Une des personnalités les plus respectées et aimées du mouvement Ted en France. Ce n'est pas un départ, c'est une perte.

    Comme en écho, une interview de Crazy Cavan réalisée par Bryan qui interroge davantage Mister Grogan que la star Cavan, l'enfance et l'âge qui survient, la vieillesse pour employer le mot qui refroidit...

    Inutile de signer une pétition contre Sergio Kazh sous prétexte que ce numéro 12 fait l'impasse sur les pionniers. C'est carrément un numéro Spécial Gene Vincent qui sortira ce mois de février qui s'approche. Question pionnier, c'est difficile de faire mieux que Gene Vincent !

    Un numéro qui atteint à une dimension humaine à laquelle tous les précédents n'étaient pas encore parvenus. Il est indéniable que Rockabilly Generation News progresse à la vitesse d'un mustang sauvage au galop.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4,60 Euros + 3,62 de frais de port soit 8,22 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 32, 90 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents. Une bonne nouvelle tout de même : devant la demande générale, les numéros 1, 2 et 3 ont été retirés. Les originaux c'est toutefois mille fois plus classe !

     

    MARIE-JOSEE NEUVILLE

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    Cette chronique sort tout droit de la précédente. Pas de n'importe qui, de Crazy Cavan. Difficile d'avoir une caution rock'n'roll plus solide. C'est bien lui qui à la fin de son interview nous apprend que dans sa jeunesse il aimait la France et Brigitte Bardot. Pas vraiment des propos d'une folle originalité, ni traumatisants, c'est la suite de cette déclaration d'amour que je cite in extenso : '' J'ai trouvé récemment un album par une jeune fille, une chanteuse française, Marie-Josée Neuville. J'étais captivé par sa façon de jouer de la guitare acoustique, dans le style de Jimmy Rogers. C'était une jeune fille française en 1956, donc elle est ma nouvelle découverte !''

    Diantre voici qui interroge. Marie-Josée Neuville, le nom me disait très vaguement quelque chose, peut-être entrevu sur les récapitulations alphabétiques des pochettes de disques proposées par Jukebox Magazine. Le pire, le rare, et le meilleur, y sont systématiquement répertoriés avec la cote associée. Oui mais attention Jimmy Rogers. Pas n'importe qui. Alors je suis allé fouiner sur You Tube et Wikipedia.

    Marie-Josée Neuville est née en 1938. Elle enregistre son premier quarante-cinq tours en 1955. Elle est surnommée la Collégienne de la chanson. Aujourd'hui on la surnommerait la lycéenne de la chanson. Elle a dix-huit ans lorsqu'elle devient célèbre. Une grande jeune fille. L'est sûr que les paroles de ses premiers disques sont bien gentillettes. Un peu niaises même. De la chanson pour enfant. Petite fille de bonne famille qui se prépare à passer son bac. Cultivée, cite Villon et Victor Hugo. A première ouïe elle s'inscrit dans le sillage de Georges Brassens. Guitare et paroles. N'en possède ni la verve ni la crudité. Trop lisse. Et pourtant sa chanson Nativité ( mais comment naissent les enfants ! ) ne manqua pas d'effaroucher les esprits pondérés.

    Mais sachons se replacer à l'époque. L'un de ses morceaux Le monsieur du métro va choquer la France profonde. A moins que ce ne soit la superficielle. L'hypocrite certainement. Le sujet fait rire lorsque l'on pense à Me Too. Une jeune fille qui se fait serrer de près dans le métro par un vieux grand-père. En refrain les recommandations de sa maman qui l'a avertie que dans ses cas-là, on ne dit rien... L'évolution libératoire sera rapide, en 1959, bye-bye la guitare, accompagnement orchestral, les paroles de La Dérive sont celles de l'innocence perdue mais pas tant regrettée que cela...

    Mais revenons-en à la guitare. Jimmy Rogers. Un bluesman. Pas n'importe lequel. Accompagna Muddy Waters en ses débuts. Entre Muddy et Brassens, question guitar-sound, il existe une petite différence. En effet, il n'y a pas photo. Jimmy Rogers qu'il joue avec Muddy ou en solo, rien à voir avec Marie-Josée et George. J'ai vérifié par acquis de conscience. J'essaie Jimmy Rodgers au cas où la retranscription de l'interview en anglais ne serait pas exacte. Trop pré-rock'n'roll à première écoute. Ne reste donc que Jimmie Rodgers, je choisis au hasard – pas tout à fait – Pistol Packin' Papa, et là dès les premières notes je dois reconnaître que Crazy Cavan a raison. Certes le jeu de Jimmie est plus fluide que celui de Marie-Josée plus anguleux, mais l'on ne peut que reconnaître des similitudes. Une certaine nonchalance en moins.

    Pour la suite de l'histoire : Marie-Josée Neuville s'est mariée avec Gérard Herzog ( le frère de l'alpiniste ) qui fut homme de télévision, elle fut aussi animatrice sur Europe 1 et est aujourd'hui une vénérable grand-mère de 82 ans. Pour les rockers ne pas oublier qu'elle assura la première partie des Platters en 1958 à l'Olympia. Tout cela ne nous rajeunit pas...

    Être remarquée par Crazy Cavan n'est pas donné à tout le monde. J'aurais dû intituler cette chronique : L'égérie secrète du mouvement Ted ! Nettement plus vendeur !

    Damie Chad.

    LA VOIE DE L'INNOCENCE

    MARIE DESJARDINS

    ( Humanitas / 2001 )

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    INTRODUCTION GENETIQUE

    Quatrième fois que nous nous penchons sur un livre de Marie Desjardins. Les deux premiers allaient de soi pour un blogue rock. Leurs titres parlent pour eux. Ambassador Hotel, La mort d’un Kennedy, la naissance d’un rocker, et Sylviejohnny love story recencés, pour le premier dans notre livraison 440 du 28 / 11 / 2019, et dans notre livraison 442 du 12 / 12 / 2019 pour le deuxième. Pour le troisième Ellesmere ( voir notre avant-dernière livraison 447 du 16 / 01 / 2020 ), nous avions évoqué Jim Morrison et les Doors pour mettre nos lecteurs sur le chemin d'accès à ce chef-d'œuvre de feu et de glace. Pour cette voie d'innocence il nous serait facile de prendre le bâton que Marie Desjardins nous tend au détour d'une page. Notre héros n'écoute-t-il pas Stairway to heaven de Led Zeppelin. Entre la voie de l'innocence et cet escalier vers le paradis, le chemin semble tout tracé. Mais lorsque l'on gravit une montagne, fût-ce les hauteurs de la nuit walpurgique de Goethe, il faut se souvenir de ce que Heidegger dit de tout cheminement de pensée et de parole, qu'il est nécessaire de prendre garde au sentier qui part dans une direction très précise et qui brutalement se retourne, et s'enfuit dans une autre. Tel le serpent qui cherche à vous mordre.

    Donc, quoique le héros du roman soit anglais nous partirons au Canada pour nous lancer sur la piste de Le piège d'or roman de James Olivers Curwood qui se déroule au Canada. – nous rappelons que Marie Desjardins réside à Montréal. L'on trouve dans ce superbe roman d'aventures tout ce que les éditeurs ont regretté de ne pas voir au premier plan d'Ellesmere. De la neige et des esquimaux. Du froid, de la faim et du struggle for life and dignity. La dignité, c' est ce qui se fait de mieux dans la catégorie du littérairement correct. En plus Curwood, il ne lésine pas sur le casting, par exemple les féroces Kogmollocks que je vous souhaite de ne pas rencontrer ce soir en rentrant chez vous. Quant au piège d'or vous êtes tellement pris par l'action que vous en oubliez qu'il n'est que la tresse du désir qui vous relie aux autres. Mais cela il vaut mieux ne plus y penser. Surtout si vous tenez à vérifier les deux bouts de l'attache. Manque de chance, c'est exactement à cette tâche dangereuse à laquelle s'attelle Marie Desjardins dans La voie de l'Innocence. Dans le roman de Curwood c'est un ours blanc que vous trouvez au bout de la chaîne. Une bestiole pas vraiment sympathique. Encore pire que les Kogmollocks. Le problème c'est que dans ce roman de Marie Desjardins, les ours blancs animés des meilleures intentions – prenez un peu la place de la bête qui rugit en vous pour voir un peu le monde à leur manière – ils foisonnent. Sur les icebergs des bons sentiments.

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    FAMILLE JE VOUS HAIS

    Ça commence par un marmot qui sort du ventre de sa mère. Reçoit un drôle de nounours comme objet transactionnel vers la tendresse. La haine. Sa propre mère le déteste. Elle sait pourquoi. Il est le symbole de tout ce qu'elle aurait voulu être. Le boulet de trop. Elle a déjà un mari, une fille et ce frère jumeau qu'elle préfère évidemment au héros maudit, bref une vie étriquée – pas tant que cela, le père gagne de l'argent – épouse au foyer qui élève ses enfants puisqu'elle n'a pas su devenir ce qu'elle aurait pu être. Vous entrevoyez la suite de l'histoire. L'implacabilité sociologique. Je vous la passe en accéléré. Enfant mal-aimé, père trop faible, doué en dessin, qui ne fait rien à l'école, un seul ami et des copains de bar, l'alcool, la dope, petits trafics. Trois ouates bienfaisantes qui servent de rempart face à la vie. L'autisme est-il une maladie ou une protection ? L'igloo que l'on se construit sur la banquise. Pour se protéger des ours.

    LES BÊTES FEROCES

    Les ours c'est un peu comme les chats. De bien beaux animaux. A qui vous ouvrez la porte, qui s'installent sans plus de salamalecs dans votre intérieur. C'est fou comme ils comblent votre solitude et éliminent vos angoisses. Restent-ils chez vous pour les caresses et la pitance ? Ou pour vous ? Ou pour elles, oui parce que Peter il n'ouvre la porte qu'à des femelles. Douces et mignonnettes comme des chatons, mais qui avec le temps se révèlent être de féroces ourses blanches au cœur noir comme la nuit. Peter en hébergera trois. Jay la jalouse. Paula la practicienne. Susan la sinueuse.

    A y regarder de près Jay n'est que le portrait craché, et crachat de gorgone, de sa mère. Pour la fuir Peter s'enfermera chez les hommes, les vrais, les durs, ceux qui sentent bon le sable chaud. C'est pourtant là que Paula viendra le chercher. Une intellectuelle. Qui sait poser le doigt là où ça fait mal. Qui lui apprend à se défaire de ses peurs. Et les voies de la liberté. Mais qui promettait plus qu'elle ne pouvait donner. Elle partira. C'est encore un homme, son seul ami d'enfance, qui lui apprendra à s'insérer dans la vie, un boulot et la présentation d'une amie qui... si vous voulez savoir la suite, il vous suffit de lire le roman. Âmes tendres et esprits positifs, s'abstenir.

    VIVRE

    Un roman d'initiation. Le titre l'indique. Le tout est d'apprendre à accepter. Mais à accepter quoi ? L'infinité de la société. Seul contre tous. Tout de suite les grands mots. Les postures romantiques sont de superbes lots de consolation. Chacun se taille dans cette toile amarante le manteau qui lui convient. En règle générale, l'on préfère se débrouiller pour s'assurer une petite niche écologique de survie. Plus ou moins confortable. Faute de mieux l'on s'y fait... Ce n'est pas là le plus difficile. A part pour quelques inadaptés.

    Le plus dur ce sont les autres. Pas tous les autres. Pas le monde entier. Ceux qui vous sont proches, familles, voisins, amis, connaissances et ceux que vous aimez. Ce sont ces derniers qui sont très embêtants. Peut-être parce que vous leur demandez de vous ressembler. Peut-être parce qu'ils vous ressemblent trop. Puisqu'ils exigent que vous leur ressembliez. L'on est toujours l'ours blanc de quelqu'un.

    Inutile de vous poser la question. Le problème c'est vous. Avant toute chose c'est vous que vous devez accepter. Peter qui roule sur ce chemin n'amasse pas mousse. La voie de l'innocence est-elle celle de l'ignorance ! Vous ne pourrez jamais accepter les autres si vous ne vous acceptez pas vous-même. L'âme sœur et l'âme frère sont sur un bateau. L'une des deux tombe à l'eau. Qui reste-t-il. Qui reste-t-elle. Laquelle a trahi, celle qui s'est jetée à l'eau, celle qui n'est pas tombée. Peut-être les deux. Puisqu'elles sont inéluctablement deux depuis le début. Deux et pas doubles. Seraient-elles jumelles.

    Et le problème c'est que lorsque vous avez compris tout cela, renoué tous les fils, rassemblé toute la trame, vous n'en êtes pas plus heureux pour autant, pas moins dans l'indécision, juste au milieu de la fêlure, juste entre les deux cotylédons du sexe féminin qui vous a engendré. Vous pouvez chercher, en cet endroit il n'y a que vous. Vous vous croyez dans la fêlure, mais la fêlure c'est vous.

    Marie Desjardins esquisse en ce roman les prolégomènes d'une espèce de théosophie psychanalytique des plus osées. Il ne s'agit pas de tuer le père – c'est déjà fait, l'aragne maternelle s'en est chargée - mais de tuer la mère. C'est la seule manière de ne pas rester éternellement un enfant. De ne pas être en attente et en recherche d'un sein symbolique à sucer. De ne pas être le jumeau de sa mère. Ou la jumelle de ses parents. Même quand ils sont absents. Un combat psychique. Introspection ouranienne. Contre soi-même. Vous ne trouverez pas plus cruel et plus innocent au monde. Un roman autant émasculateur que femmasculateur. Mort à l'amour. Pour parvenir à la liberté du désir. Stairway to heaven.

    Souriez, vous êtes arrivé.

    Vous pouvez remercier Marie Desjardins.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 447 : KR'TNT ! 447 : JACK SCOTT / JERRY WEXLER / MORLOCKS / MARIE DESJARDINS / AVALANCHE /LOUIS LING & THE BOMBS / EFFELLO ET LES EXTRATERRESTRES /

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 447

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    16 / 01 / 2020

     

    JACK SCOTT / JERRY WEXLER / MORLOCKS

    MARIE DESJARDINS / AVALANCHE

    LOUIS LINGG & THE BOMBS

    EFFELLO & LES EXTRATERRESTRES

    ROCK ET MAI 68

    Scott a la cote

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    Jack Scott devait beaucoup aux Cramps qui, avec leur magistrale cover du «Way I Walk», le ramenèrent dans le rond du projecteur. Il devait aussi beaucoup au fameux rockabilly revival des années quatre-vingt, et notamment à Robert Gordon qui fit lui aussi une superbe cover du «Way I Walk». Et comme le dit si justement Craig Morrison, il le méritait (He deserved it). Le problème de Jack Scott est qu’il n’appartenait à aucune scène rockab, ni la scène de Memphis ni celle du Texas, et que sa vie ne présentait pas le moindre relief : rien, ni faits marquants, ni scandales. Et pourtant ce Canadien basé à Detroit aligna nous dit Morrison une vingtaine de hits entre 1958 et 1961, dont quatre grimpèrent dans le top ten des national charts.

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    Le vieux Jack se distinguait par une pente pour slow beat et une voix qui lui permettait de sonner comme Elvis. Il raffolait du son tamisé, assez dark, et se prêtait parfois au petit jeu du répétitif, comme le montre «Geraldine», qu’il répète une bonne quinzaine de fois dans l’intro. Il sera l’un des derniers à beefer son son avec une stand-up, passée de mode en 1960, et comme Elvis, il va préférer la virilité à la sensualité dans les harmonies vocales : le quatuor masculin qui l’accompagne s’appelle the Fabulous Chantones.

    Et comme le vieux Jack vient de casser discrètement sa pipe en bois, l’occasion de lui rendre hommage fait partie de celles qu’on ne saurait laisser filer. Pour une fois, nous allons donner la parole aux albums.

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    L’aîné s’appelle Jack Scott, born in 1958 :

    — Malgré ma belle pochette dynamique, je ne suis pas l’album du siècle...

    — Pourquoi dites-vous ça, Jack Scott ?

    — Je n’ai que deux hits intersidéraux, «Geraldine» et «Goodbye Baby»...

    — C’est mieux que rien !

    Jack Scott a tort de se plaindre, car «Geraldine» rebondit sur le beat, bien bourrelé de jus rockab et transpercé au cœur par un solo de sax. Fabuleux parti-pris, ils sont dedans jusqu’au cou. C’est le côté insistant du beat rockab qui rafle la mise. Même chose pour «Goodbye Baby», c’est du big Jack, même s’il couaque comme un volatile.

    — Mais vous oubliez «Leroy» et «The Way I Walk» !

    — Oui, c’est vrai, mais j’ai un petit faible pour «Save My Soul», car je le prends sous le boisseau duveteux des Chantones, il s’y passe des trucs, vous savez. Là, je suis sûr de mon coup.

    — C’est vrai que «Save My Soul» est bien enlevé, c’est indiscutable. Mais vous avez aussi pas mal de cuts atroces et gluants, de type «With Your Soul», «I Can’t Help It» ou pire encore, «My True Love», le bonbon le plus sucré du magasin. Et cette romance à l’eau de rose qui s’appelle «Indian Walk» qui pue des pieds. Franchement vous exagérez. On sent votre côté rital qui remonte à la surface. Dommage que vous ruiniez tant d’efforts avec des rengaines aussi abjectes.

    — L’époque voulait ça. Vous avez sûrement entendu parler d’un truc qui s’appelle la pression commerciale, non ? Ne saviez-vous pas que l’Amérique était un pays de beaufs ? Vous n’allez pas me dire que vous ne saviez pas que la beaufitude est le plus grand fléau du XXe siècle !

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    Le petit deuxième s’appelle I Remember Hank Williams, né deux ans plus tard, en 1960. Il fait d’ailleurs partie d’une portée de quatre.

    — Oh je vois à votre tête que je ne vous plais pas...

    — Mon cher I Remember Hank Williams, vous auriez dû vous faire avorter pour laisser la place à Jerry Lee, car vous êtes l’un des pires albums jamais enregistrés. Tous les violons du monde semblent s’être donné rendez-vous pour massacrer l’Hank. Vous n’êtes qu’une sainte horreur.

    — Même ma version de «Cheatin’ Heart» ?

    — C’est l’une des pires ! Il n’existe rien de plus foireux sur le marché ! Les rednecks devaient être pliés de rire en entendant ça. Wouah le Canadien ! Wouah la pauvre crêpe ! On a parfois l’impression que vous allez demander une pièce aux gens de la rame pour rester propre. À côté de vous, Roy Orbison est un enfant de chœur. Dans le Deep South, ils n’auraient jamais osé massacrer les chansons d’Hank Williams. Jamais ! Vous entendez ? JAMAIS ! Seuls les yankees sont capables de telles abjections.

    — Oh, je voulais juste illustrer le ventre mou de l’Amérique. Vous savez, Perry Como et l’autre imbécile de Pat Buitoni ont vendu des millions de disques...

    — Oui, mais là n’est pas le problème. Vos fans ne vous pardonneront jamais de vous être prêté à cette infâme mascarade.

    — M’en fous. Je vaux entre 50 et 100 $ sur la marché, alors vos petites remarques perfides roulent sur les rails de mon indifférence et s’arrêtent à la gare de mon mépris.

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    Le deuxième de la portée 1960 s’appelle What In The Word’s Come Over You.

    — Vous grattez une belle guitare sur la pochette !

    — Oui, c’était la grande forme. On drivait «Baby Baby» au dixie stomp ! Et sur «I’m Satisfied With You», on avait aussi pas mal de son.

    — Oui, c’est vrai, mais là où ça bigne, c’est dans «My King» ! Quel fantastique shoot de rockab ! You rock it hard ! Par contre, ça redevient pathétique avec «Cruel World», cette mauvaise resucée de «Blue Suede Shoes».

    — Ce que vous pouvez être dur ! Parlez-moi plutôt de «Good Deal Lucille», on y tente le tout pour le tout, on mise tout ce qu’on a, le sax, les Chantones, le beat, tout y est ! Ça c’est du jump, mon gars ! Tu ne trouveras pas mieux ailleurs !

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    Le troisième de la portée 1960 s’appelle The Spirit Moves Me.

    — Vous vous prenez pour les Staple Singers ?

    — C’est quoi cette insinuation ?

    — Oh ce n’est pas une insinuation, vous reprenez les mêmes classiques de gospel batch, tiens comme ce «Swing Low Sweet Charriot» qui coule comme un vieux claquos oublié au fond du placard au mois d’août. On dirait que vous tombez dans tous les travers de la Bible. Le rockab a complètement disparu.

    — On voulait faire plaisir à ma mère et au curé du village.

    — Oui, ça se conçoit très bien, sauf qu’on croirait entendre Gilbert Bécaud dans «Josuah Fit The Battle Of Jericho». Si on voulait faire acte de civilité, il faudrait dire à tous les fans de rockab de vous fuir comme la peste, Spirit Moves Me. Avec «Roll Jordan Roll», vous vous grillez définitivement. Et les pauvres gens qui vont oser écouter «Down By The Riverside» vont s’écrouler de rire. On ne vous a jamais expliqué que le gospel batch était un truc de noirs, pas un truc de petits culs blancs ? C’est rare de trouver un album aussi atrocement con que vous, Spirit Moves Me. C’est d’autant plus incompréhensible qu’il circule dans la nature des singles impeccables comme «Patsy» ou encore «Strange Desire».

    — M’en fous ! J’irai au paradis.

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    Le quatrième de la portée 1960 s’appelle What I Am Living For.

    — Au moins, vous n’êtes pas comme vos trois frères, vous ne prenez pas les gens pour des cons !

    — Faut-il prendre ça pour un compliment ? J’ai pas l’impression d’appartenir à une famille de tarés.

    — Ne vous méprenez pas, c’est juste l’expression du simple bonheur de vous voir renouer avec le heavy rockab. Notamment dans «Go Wild Little Sadie», là c’est du sérieux, vous inventez même le Detroit sound, sans doute à la même époque que Johnny Powers.

    — Oui j’adore bopper Sadie, Detroit boob baby, tête-moi le sein ! C’mon stop this fight !

    — «Baby She’s Gone» est encore plus inespéré ! Quelle perle de rockab sauvage ! C’est chanté au foulard noué et au fute de cuir, avec une science infuse du what to do ! Vous frisez le Vince Taylor, avec ce what to do subliminal !

    — Mon chouchou est «Two Timin’ Woman». Là on explose la scène de Detroit pour de vrai, we rock it out !

    — Mais il faut aussi avaler pas mal de couleuvres, comme par exemple «Bella» ou encore «There Comes A Time». C’est d’autant plus regrettable que des singles fantastiques circulent sous le manteau, tiens, par exemple ce «One Of These Days» qui sonne comme un hit mystérieux, scalpé dans le son, ou encore ce «Grizzly Bear» qui fait le bonheur des esprits éclairés.

    — Bon, on ne va pas refaire l’histoire ! Tournez-vous donc vers l’avenir !

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    L’avenir s’appelle Burning Bridges qui vient au monde quatre ans plus tard.

    — Vous vous prenez pour l’album du grand retour ?

    — Je n’aurai pas cette prétention, je ne suis qu’une modeste compile et à Wall Street je ne vaux pas un clou, alors c’est pas la peine de m’asticoter avec des remarques déplacées.

    — Oh si vous le prenez aussi mal, on va couper court. C’est dommage, car j’allais vous complimenter.

    — Me prenez pas pour un con, je sais bien que mes rengaines sont pompeuses, surtout «Burning Bridges».

    — C’est vrai que vous battez tous les records de daube avec «A Little Feeling» et «All I See I Blue», mais vous reprenez du poil de la bête avec cet étrange «Laugh & The World Laughs With You».

    — Pourquoi étrange ?

    — Parce que la walking stand-up se balade à la surface du mix et on entend même un solo de fuzz rococo. C’est un véritable écart de conduite, dans cet océan de daube pestilentielle. Avec «It Only Happened Yesterday» vous réveillez les pires souvenirs d’Elvis chez RCA. Ah ces roucoulades qui nous faisaient désespérer de tout !

    — Si c’est ça que vous appelez un compliment, je vous souhaite le bonsoir !

    — Attendez, j’y arrive. Il n’en sera que plus appréciable, au terme de tous ces préliminaires peu aimables, je l’avoue. D’ailleurs vous savez très bien où je veux en venir...

    — «Patsy» ?

    — Ben oui ! Évidemment , «Patsy», le hit parfait, aw Patsy, swingué à la big orchestration, we gonna rock, we gonna roll, we gonna hooo Patsy... c’est d’une sexualité spectaculaire, ça sent bon la bite qui frétille, ça frise le coït dans un univers grandiose à la Cecil B DeMille. Patsy vous sauve, mon vieux Bridges. Espèce de veinard.

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    Big Beat adore le vieux Jack comme on adorait un teddy bear autrefois. Deux albums Big Beat font bien le tour du propriétaire : The Legendary Jack Scott, paru en 1982 et un Live In Paris paru trois ans plus tard. Legendary s’ouvre sur «The Way I Walk».

    — Bizarrement, on ne se lasse pas de ce gratté d’acou et de ces suaves chœurs de mâles. Ça groovait salement à Detroit en 1959 !

    — Oui, les Chantones doo-bee-doo-bee-doo-whaatent comme des cakes.

    — On comprend que Lux Interior ait pu baver là-dessus. On trouve aussi l’autre big hit en B : «Go Wild Little Sadie». C’est hanté et chanté au nez sale. Le slap plombe joliment l’ambiance - C’mon now and stop this fight ! -

    — On swingue aussi «Leroy» à coups de sax fifty-fifty et on bat tous les records de désinvolture avec «Goodbye Baby». On va même flirter avec le gospel batch dans «Save My Soul» !

    — Ah oui ! Et les Fabulous Chantones s’en vont l’allumer au coin du bois comme des bandits de grand chemin.

    — Et puis vous retrouvez «Geraldine» et «Baby She’s Gone» en B. Solide rockab, joué dans la carcasse du groove. Vous retrouvez tous ces hits sur l’excellent Live In Paris, à commencer par «Geraldine», avalé au big bop.

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    — Oui, le son est fantastique ! Jacky Chalard joue de la basse et Vernon Pilder passe un solo frais comme un gardon. Les baby que glousse Jack dans «Baby She’s Gone» sonnent comme ceux d’Elvis. Jack met tout son poids dans la balance et Chalard dépote derrière un drive de rêve bien rond. Quelle classe de what to do ! Jack n’a rien à envier à personne.

    — On tape en B «My True Love». Cette ritournelle s’aligne sur les prérogatives d’Elvis. On rocke «Leroy» à la Cochran motion : carcasse classique saxée vite fait.

    — «Goodbye Baby» s’avance et porte sur le front une mâle assurance. Un vrai coup d’Cid, ce Jack !

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    Par contre, un autre live enregistré en 1983 à Toronto retombe comme un soufflé. Sur la pochette de Live At The Edge, Jack porte la barbe. Il a un petit côté Kris Kristofferson. Jack fait du Jack of all trades, du sans surprise. Pas de son, cette fois. Il tape dans un tas de classiques du style «Ubangi Stomp», «Tutti Frutti» ou encore «Love Me Tender», mais on s’ennuie comme des rats morts. Il fait aussi un «Love Me» qui n’est hélas pas celui du Phantom. Et son «Be Bop A Lula» laisse grandement à désirer. Pour toutes ces raisons, KRTNT ne va pas interviewer Live At The Edge.

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    Jack enregistre son dernier album en Finlande en 2013. La raison pour laquelle il faut écouter Way To Survive s’appelle «Tennessee Saturday Night». Hallucinante qualité de la proximité ! Les Finlandais ramènent un son énorme dans le giron de Jack. On reste au paradis du big revival avec «Wiggle On Out», heavy shoot de boom boom, hey hey wiggle on out. Ce démon de Jack sait encore créer la boom boom sensation. Effet garanti, avec ces chœurs scandinaves. Les Finlandais ramènent une sauce infernale. The big rockab is back. Dans «Hillbilly Fever», le gratin du rockab finlandais vole au secours du vieux Jack, il faut les voir cavaler dans la toundra, cet effroyable guitar slinger bat tous les records de glisse, aw ces mecs savent créer du mythe cavalé. Pour un peu, on pourrait dire qu’ils inventent un genre nouveau : le virtuobilly. Attention aux albums tardifs des vieux de la vieille, ce sont souvent les plus fascinants, ceux de Mac Curtis et de Charlie Feathers en particulier. Avec «Ribbon Of Darkness», Jack propose un shout de country-rock cavalé à perdre haleine. Il fait aussi une mouture de «Trouble» assez something about me, Jack sait de quoi il parle quand il grommelle «I never look for trouble/ It seem to find me.» C’est bien gluant, bien senti, ça vient du cœur, comme on dit à Clochemerle. Jack revient sur Hank Williams avec «Honky Tonk Blues» et se montre aussi bon que Jerr, il réussit enfin à pervertir son accent, alors la version devient judicieuse et bardée de power finlandais. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises car voilà qu’arrive en trombe «Live Love And Like It», bien exacerbé de picking finlandais. Ces mecs vont vite en besogne, à cent à l’heure dans l’Alley Oop du big hillbilly drive. Follow that ! Jack se fend plus loin d’un admirable coup de fast pop avec «I’ll Be Coming Back For More». Il annonce à cette gonzesse qu’il reviendra la voir tellement il a adoré le kiss on the lips. Ah ces ritals, ils finissent toujours par nous fendre le cœur, comme on dit aussi à Clochemerle. Et puis voilà le moment fatidique : le dernier cut de Jack avant le grand départ. Il faut en profiter, car après c’est fini. C’est le morceau titre de l’album, un vieux shoot de country-music de fin de soirée. Jack tient à finir en beauté. Il a revêtu son meilleur costume et ciré ses pompes. Après c’est terminé, il ne te restera plus que tes yeux pour pleurer et l’os du genou à ronger en attendant Godot.

    Signé : Cazengler, Scot Scot Kodec (la poule qu’a trouvé un couteau)

    Jack Scott. Disparu le 12 décembre 2019

    Jack Scott. Jack Scott. Carlton 1958

    Jack Scott. I Remember Hank Williams. Top Rank International 1960

    Jack Scott. What In The Word’s Come Over You. Top Rank International 1960

    Jack Scott. The Spirit Moves Me. Top Rank International 1960

    Jack Scott. What I Am Living For. Carlton 1960

    Jack Scott. Burning Bridges. Capitol Records 1964

    Jack Scott. The Legendary Jack Scott. Big Beat Records 1982

    Jack Scott. Live At The Edge. Underground Records 1983

    Jack Scott. Live In Paris. Big Beat Records 1985

    Jack Scott. Way To Survive. Bluelight Records 2015

    Craig Morrison. Go Cat Go ! Illinois 1998

     

    Wexler de rien

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    Quand on voit Papy Wexler, avec sa barbe blanche, sa casquette et ses grandes oreilles apparaître dans le docu de Robert Gordon sur Stax, on rigole. Par contre, on rigole moins quand on connaît son parcours d’Atlantic man, c’est-à-dire de découvreur/producteur spécialisé dans la Soul et le rhythm & Blues. Sans Wex, pas de Solomon, pas de Ray Charles, pas d’Aretha ni de Sam & Dave. Cet homme peut se vanter d’avoir accompli une sorte de sans faute et d’avoir su écrémer la crème de la crème du gratin dauphinois. Même si on croit bien connaître l’histoire de la Soul américaine et celle d’Atlantic, il est nécessaire de se plonger dans Rhythm & The Blues, l’autobiographie qu’il écrivit au soir de sa vie avec l’aide de David Ritz.

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    Au même titre que Jim Dickinson, Sam Phillips, Cosimo Matassa, Phil Spector, Burt Baccharach, Jerry Ragovoy, Bert Berns ou encore Jack Nitzsche, Wex a côtoyé les géants et contribué pour une bonne part à rendre une certaine musique américaine légendaire. Son livre donne un peu le vertige, car il n’évoque que des figures de proue. L’intérêt d’Atlantic est que son histoire s’enracine dans les années cinquante, au travers d’artistes exceptionnels du calibre de LaVern Baker, Professor Longhair, Clyde McPhatters ou encore Guitar Slim et remonte jusqu’aux seventies où chacun se goinfrait de Rascals et d’Aretha.

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    L’histoire de Wex est celle d’un juif new-yorkais né dans un milieu pauvre : son père lave les vitrines. Né pauvre, Wex va rester toute sa vie obsédé par les fins de mois. Travailler pour un label indépendant n’arrange pas les choses, car les concurrents sont féroces et la durée de vie d’un petit label plus que limitée : «Survivre relevait de la prouesse. Il fallait compter avec les goûts capricieux des consommateurs et parvenir à faire passer les disques à la radio, phase de marketing cruciale. Il fallait rencontrer le distributeur, le DJ, et le directeurs des programmes en personnes. Il fallait surtout aller à la station de radio et payer pour que le disque passe à l’antenne.» Wex découvre vite l’âpreté du combat de survie dans l’industrie musicale, mais il est assez fier d’avoir réussi, avec Ahmet Ertegun, à imposer une éthique : «Dans l’industrie, la réputation d’Atlantic se situait - et se situe encore - nettement au-dessus de la norme. Alors que certains de nos concurrents baisaient leurs artistes de manière honteuse, en ne leur versant pas leurs royalties, nous avions la réputation d’un label correct et fair-play. Nous n’étions ni des gangsters ni des escrocs. Mais nous n’étions pas non plus des oies blanches. Quand venait l’heure de la compétition, on jouait pour gagner.» Et pourtant, Wex et Ahmet ont bien cru qu’ils allaient couler lorsque Ray Charles et Bobby Darin ont quitté Atlantic pour aller se goinfrer chez ABC et Capitol. On leur offrait tout simplement de bien meilleures conditions financières. Et puis à un moment, Atlantic se mit à grossir terriblement, et les chemins de Wex et d’Ahmet se séparèrent : Ahmet s’intéressait plus à la scène californienne et Wex se spécialisait dans cette musique noire qui l’avait toujours passionné. Ahmet passait son temps à Los Angeles ou à Londres, et Wex descendait à Memphis, à Muscle Shoals ou à Miami. C’est Wex qui à un moment poussa à la vente d’Atlantic. Quand en 1967, Warner racheta Atlantic, Wex se sentit enfin à l’abri du besoin. Il devint rentier. Laver des vitrines avec son père l’avait traumatisé - I started washing windows with Harry and I loathed every living minute of it - et il ajoute : «Le pire, c’était l’hiver. Pop me sortait du lit à 3 heures du matin. J’étais hébété de fatigue et d’horreur.»

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    Comme dans tous les livres de souvenirs extrêmement denses, des pages réussissent à sortir du lot. Notamment celle où Wex explique ce qu’est un producteur. Écoutez bien : «Il y a trois sortes de producteurs. La première est celle des documentalistes, comme Leonard Chess, qui enregistra le Delta blues de Muddy Waters tel que le jouait Muddy, c’est-à-dire raw, sans fioritures, real. Leonard reproduisait dans le studio ce qu’il avait entendu dans le bar. J’entre dans la deuxième catégorie, celle du producteur qui se met au service du projet. C’est typiquement le producteur qui commence en tant qu’amateur et qui organise les sessions. Son job consiste à trouver la bonne chanson, le bon arrangeur, les bons musiciens, le bon studio, en gros, faire en sorte de pouvoir tirer le meilleur parti de l’artiste. Phil Spector est l’exemple parfait de la troisième catégorie, le producteur star, l’artiste, la force motrice. Pour Phil, chaque chose - la rythmique, les cordes, les chœurs, le chant, les solos - est une pièce du puzzle. Le résultat est le sien et non celui du chanteur ou du compositeur. Son truc, c’est le wall of sound. Certains considèrent le wall of sound comme la plus belle invention depuis celle de la roue, d’autres trouvent ça artificiel. Plutôt que de pousser les carrières de chanteurs, Phil poussait la sienne. Les artistes étaient à son service.»

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    Avec Ray Charles, Wex aborde le chapitre des genius : «De tous les artistes avec lesquels j’ai travaillé, seulement trois sont à mes yeux des genius, et Ray Charles était le premier.» Wex est frappé par l’intelligence de cet homme qui avait une sacrée théorie : «J’ai une petite idée sur le fait qu’on m’ait laissé jouer comme je le voulais dans le Sud : une grosse partie du racisme vient du fait que les blancs ont la trouille que des noirs viennent baiser leurs femmes. Comme ils voyaient que j’étais aveugle, et donc que je ne pouvais pas reluquer leurs bonnes femmes, je n’étais plus une menace.»

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    Le deuxième genius, c’est Phil Spector - the most enigmatic hustler/genius of them all - Et il ajoute : «Without being either civil or subtle, Spector was terribly talented.» (Ni civilité ni subtilité chez Spector, il était tout simplement extraordinairement talentueux). Spector débarque à New York et commence à travailler pour Wex sur des arrangements de violons. Wex lui demande son avis et Phil lâche : «Fuck that man, I came from California to make hits.» (Laisse tomber ! Je viens de Californie pour sortir des tubes). Dans un chapitre enfiévré, Wex se dit admirateur de tous les hits produits par Phil, depuis les Ronettes jusqu’aux Righteous Brothers, en passant bien sûr par «River Deep Mountain High» - which wasn’t hailed as the Great American Hit (Qui aurait dû devenir le grand hit américain) - un flop qui traumatisa tellement Spector qu’il se retira.

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    Le troisième genius de Wex, c’est Aretha. Wex se montre intarissable sur ‘Ree’ - Genius, c’est le mot. Clairement, Aretha continuait ce qu’avait commencé à faire Ray Charles, séculariser le gospel, recycler des thèmes de gospel et des sentiments religieux pour en faire des love songs personnalisées. Comme Ray, Aretha était une interprète exceptionnelle, elle jouait du piano des deux mains, détentrice du Holy Ghost power - Il refait l’apologie de cet album de gospel extraordinaire qu’est Amazing Grace - Aretha was on fire - et se calme un peu plus loin pour donner sa conception du grand chanteur : «Trois choses font un grand chanteur : la tête, le cœur et la gorge - head, heart and throat - La tête, c’est l’intelligence, le phrasé. Le cœur, c’est l’émotion qui donne le feu sacré. La gorge, c’est la voix. Ray Charles avait les deux premiers. Sa voix est merveilleuse, mais il ne fait pas de bel canto. Par contre, Aretha, comme Sam Cooke, a les trois.»

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    Wex vouait aussi une admiration sans bornes à Doc Pomus - If the music industry had a heart, it would have been Doc Pomus - et il ajoute un peu plus loin : «One of the the great writers, hipsters, sweethearts of all time.» C’est l’époque des Drifters et des Coasters, deux groupes qui maintenaient Atlantic à flot. Par contre, Wex n’épargne pas ce rat de Leonard Chess. Wex rappelle que les frères Chess sont à la fois des concurrents et des amis. Un soir, lors d’une session d’enregistrement organisée pour Big Joe Turner, Leonard et Ahmet ont une étrange conversation :

    — J’ai passé un accord avec Muddy Waters, lance Leonard. Muddy, je lui dis, quand tes trucs comme ‘Hootchie Coochie Man’ et ‘Mojo’ ne se vendront plus, tu pourras venir à la maison faire le jardin.

    — Très drôle, lui répond Ahmet. J’ai passé un autre genre d’accord avec Turner. Si ses disques ne se vendent plus, je serai son chauffeur.

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    Wex adore enfoncer les clous. Ce livre est un véritable tourbillon de personnages légendaires - What Charlie Christian gave jazz guitar, T-Bone Walker gave blues guitar - Eh oui, T-Bone - Je le revois dans ses superbes fringues, avec sa dent sertie d’un diamant et des pierres précieuses sur la Gibson - Apologie de Percy Mayfield à la suite - Mayfield, comme T-Bone, avait une voix de miel et une nature de poète, toujours sur le point de divulguer quelque fantastique révélation, comme par exemple le nom de ce dieu hébreu qui ne pouvait être prononcé (...) On ne peut savoir la profondeur du puits, chantait Percy, car le puits, c’est l’âme de l’homme.- Et quand il voit jouer Fess pour la première fois - using the piano as both keyboard and bass drum, pounding a kick plate to keep time and singing in the open-throated style of the blues shout - Wex s’exlame : «My God, we’ve discovered a primitive genius !» Et il enchaîne avec le Gospel according to Fess, c’est-à-dire la brochette de gens que Fess a directement influencés : James Booker, Fats Domino, Huey Piano Smith, Allen Toussaint, Art Neville et Mac Rebennack - Longhair is the Picasso of keyboard funk - Toutes les saveurs de la Nouvelle Orleans remontent à la surface du temps grâce au chapitre endiablé que Wex consacre à Fess. Il cite d’ailleurs Norman Mailer : «The source of Hip is the Negro, for he has been living on the margins between totalitarism and democracy for two centuries.» (Le vrai Hip est le nègre, car il vit depuis deux siècles en marge de la société, le cul entre ces deux chaises que sont le totalitarisme et la démocratie). Rien de plus juste, Hip étant dans l’esprit de Mailer le fin du fin du branché, le marginal définitif. Wex rend ensuite hommage aux white niggers, Milton Mezz Mezzrow et bien sûr Johnny Otis qui fut le découvreur d’Esther Phillips, de Sugar Pie De Santo et d’Etta James. Wex eut la chance de voir Big Joe Turner manger des R&B spaghettis au petit déjeuner avec Smiley Lewis et Lloyd Price. Down in New Orleans, Wex se sentait en sécurité, I knew I was in the sure-enough House of the Blues. Et puis voilà Guitar Slim, que Wex vient de signer sur Atlantic. Guitar Slim arrive en retard au studio de Cosimo, trois Cadillacs rouges, des filles en robes rouges et tout l’entourage - La session est une véritable boucherie. Au moment de partir en solo, Slim fout ses aigus à fond et fait sauter la console. On le supplie de baisser le son, mais Slim adore ce qu’il entend et met encore plus de volume. Chaque fois, la console saute. Chaque fois, Cosimo doit envoyer un gamin chercher des ampoules de rechange sur Canal Street. Ça dure chaque fois une éternité.

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    Puis Wex passe sans ciller à LaVern Baker - I loved her because she stood smack dab in the middle of the great tradition of Ma Rainey and Bessie Smith (Je l’adorais car elle s’inscrivait dans la droite ligne de Ma Rainey et de Bessie Smith) - Wex évoque aussi l’un des plus grands chanteurs de tous les temps, Clyde McPhatters. Quand Ahmet demande à Clyde de venir enregistrer chez Atlantic, le Drifter lui répond : «Juste une chose, Mr. Ertegun : j’espère que vous n’allez pas jouer de la batterie dans ma session.» Clyde fait bien sûr référence à Syd Nathan, czar of the King Label, qui se permettait ce genre d’intrusion. Wex a raison, il n’en finit plus d’épingler tous ces gens qui se croyaient tout permis, les Chess et les Nathan.

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    Les grands coups de cœur de Wex sont aussi Solomon et le duo Leiber Stoller - Physiquement énorme, le King of Rock ’n’ Soul veillait sur un immense empire. C’était une force de la nature, un homme vif, extrêmement intelligent, un vendeur capable de vendre n’importe quoi, un homme qui avait le pas ferme et qui ne reculait devant aucun obstacle - Wex n’avait à l’époque que Solomon Burke pour résister au choc commercial de la British Invasion, Beatles, Herman’s Hermits et Dave Clark Five en tête. Il situe Solomon entre Sam Cooke et Donny Hathaway, c’est-à-dire l’incarnation de la sweetness qu’il considère comme la qualité principale de la Soul. À 24 ans, Solomon avait déjà un femme et huit enfants à nourrir. Il multipliait les petits boulots, en dehors de la Soul - Part artist, part hustler, he was a wit and a wonder, always hitting on me for more money, bigger advances and anticipated royalties (Mi artiste, mi arnaqueur, il était à la fois un esprit et une merveille. Il passait son temps à demander du blé, des avances de plus en plus grosses et des avances sur les royalties) - Ce qui nous amène tout droit à Bert Berns, «An outstanding songwriter and groove doctor. Il était aussi mercurial et aussi égocentrique que je l’étais. Il fut mon premier protégé.» Et Wex ajoute que son travail avec Garnet Mimms prouve qu’il était l’un des plus importants parmi les premier producteurs de Soul music. La première fois que Solomon vit Bert, nous dit Wex, ça faillit mal se passer. Bert avait un look un peu freaky, avec des cheveux qui descendaient dans le dos et Solomon n’était pas chaud pour travailler avec ce maverick : «Come on Jerry, you gotta be kidding me with this paddy motherfucker.» (Allez, Jerry, tu plaisantes, je ne vais pas travailler avec ce clampin). Lors de cette session, le paddy motherfucker enregistra l’énorme «Cry To Me».

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    Portraits stupéfiants de Leiber & Stoller : «Leiber, Mr Discordely Conduct, was a charming mess.» (Il y avait à la fois quelque chose de charmant et de désastreux chez Leiber). Et plus loin : «Stoller was the taciturn virtuoso, an enigmatic keyboard wizard who looked as though he’d just arrived from Venus or Jupiter.» (Leiber était le virtuose taciturne, on aurait dit que ce sorcier du clavier débarquait de Venus ou de Jupiter). Leiber qui écrivait les paroles rappelle que s’il parvenait à faire rire Stoller avec l’un de ses textes, la partie était gagnée. Mais s’il y parvenait, c’était un miracle - To get him to crack a smile was a minor miracle - On voit d’ici le tableau. Et Leiber poursuit : We used humour to take off the edge - Ils rendaient fous les Coasters, avec leurs textes - Billy Guy lisait les paroles et gueulait : «Mec, ils vont nous pendre dans le Mississippi, si on chante ce truc-là !»

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    Après la Nouvelle Orleans, Wex tombe dans les bras de Memphis. Encore peu connu, il est invité avec Ahmet à l’émission de Dewey Phillips, le DJ qui fit décoller Elvis. Le disque s’arrête et Dewey reprend le micro pour présenter ses invités : «Ce soir, les gars, j’ai une paire de sales voleurs Yankees dans le studio. Ils sont là pour nous piquer tout ce qu’on a, mais je crois qu’ils arrivent trop tard. Leonard Chess est passé avant et il a tout barboté.» Explosion de rire dans le studio. Wex clôt le chapitre Dewey en rappelant que Sam Phillips a veillé sur lui jusqu’au jour de sa mort. Wex adorait Jim Stewart qu’il recevait chez lui, par contre il se méfiait d’Estelle - She was something of a Medusa, a mover and a shaker (Il y avait de la méduse en elle) - Il adorait aussi Rufus Thomas, pour son sens aigu de l’ironie, un Rufus qui savait se montrer sardonique sans être méchant, gonflé sans être amer - He was hip - C’est l’un des plus beaux hommages rendus à cet immense artiste qu’est Rufus Thomas. Wex ne tarit plus d’éloges sur les MGs - They were magic in the studio, Booker had this great low-down Ray Charles feel, Cropper was a marvel, un guitariste qui combinait la rythmique et les départs en solo, compositeur intuitif incroyablement doué, Jackson, perhaps the premier funk drummer of the decade, Duck, dead-on with hypnotic natural-feel bass lines - Wex commence par ramener Wilson Pickett chez Stax - I called him the black panther even before the phrase was political (Je l’appelais the Black Panther avant que l’expression ne devienne politique) - Il enferme Steve Cropper et Wilson Pickett dans une chambre d’hôtel, leur colle une bouteille de Jack dans les pattes et leur dit «Write !» Ils ressortent un peu plus tard avec «Midnight Hour». Wex affirme aussi que Porter & Hayes étaient aux sixties ce que Leiber & Stoller furent aux fifties : des poètes doués du bon punch. Et pouf, on embraye directement sur l’épisode Sam & Dave - Aux yeux de Wex, Sam tenait de Sam Cooke et de Solomon Burke, alors que Dave tenait plus des Four Tops et donc de Levi Stubbs, c’est-à-dire le pasteur promettant l’enfer sur la terre. Quand Jim Stewart refuse de recevoir Aretha que vient de signer Atlantic, Wex se tourne alors vers Rick Hall qui a commencé à se tailler une belle réputation grâce à Arthur Alexander et Percy Sledge, qu’il n’a pas enregistré, mais qu’il a recommandé à Wex. C’est le début d’une nouvelle idylle. Wex compare Rick Hall à Berry Gordy, a po’ boy from the bottom of the agrarian ladder - Et lui amène Aretha. L’histoire de cette journée d’enregistrement compte parmi les plus passionnantes de l’histoire de la Soul. Elle se termine par une brouille et des règlements de compte. Wex va ensuite s’établir à Miami. Il y fera travailler Dickinson et ses Dixie Flyers pendant six mois - Pendant un temps, les Dixie Flyers volaient haut. Je ne savais pas qu’ils prenaient toutes ces drogues, mais je savais qu’ils étaient des wild motherfuckers. It was wild times, and into this wild mix came the wildest man of them all - Il évoque bien sûr Dr. John, the blackest white man in the world. Et il ajoute : «His talk is black, his soul is black and God knows his music is black.» Si on veut lire une parfaite apologie de Dr John, c’est là dans ce livre : «Son histoire passe par Shirley And Lee, Roy Brown, Archibald, Lloyd Price, Shooks Eaglin, Guitar Slim, Smiley Lewis, Earl King et le grand promoteur/producteur Huey Meaux. Il a été directeur artistique pour Johnny Vincent à Ace Records et il enregistra son premier hit, «Morgus the Magnificient» sous le nom de Morgus & the Ghouls en 1959.»

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    Encore une rencontre de choc avec Dusty Springfield, au moment de l’épisode Dusty In Memphis - Dusty has to be the most insecure singer in the world (Dusty bat tous les records d’insécurité) - Pour Wex, Dusty chérie est une immense artiste : «Comme dans le cas d’Aretha, je ne l’ai jamais entendue chanter une seule fausse note.» Wex commence par lui proposer des chansons. Plus d’une centaine. Ça dure des jours et des jours. She approved exactly zero. Elle refuse tout. Il entre alors dans le détail - Après des mois passés à tourner en rond, on s’est mis d’accord sur onze chansons : quatre composées par Gerry Goffin et Carole King, deux par Randy Newman, le «Just A Little Lovin’» de Barry Mann & Cynthia Weil, une chanson de Bacharach & David et «Breakfast In Bed», signé par deux des meilleurs compositeurs d’Alabama, Eddie Hinton et Donnie Fritts - Wex choisit le studio American de Chips Moman à Memphis. Mais Dusty ne voulut pas chanter. Rien à faire. Bloquée. Elle enregistra son Dusty In Memphis à New York et Wex nous dit que ce fut l’enfer. Il la poussa tellement à se surpasser qu’elle lui balança un cendrier dans la gueule. Et puisqu’on est avec les grandes chanteuses, voici Bonnie Bramlett : «Bonnie was blazing hot.» Et Wex termine très fort avec l’impressionnant Donny Hathaway qui étudia le Groupe des Six (Honneger, Milhaud, Taillefer, Auric, Durey et Poulenc) et qui pouvait jouer du Satie. Wew rend aussi hommage à Roberta Flack et puis à Eddie Hinton qui reste à ses yeux l’une des grandes énigmes de la Southern music. But dear God, the boy could play some funk.

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    Ne manque-t-il pas un personnage important dans ce tourbillon ? Ahmet, bien sûr - Ahmet Ertegun is the stuff of myth - et il ajoute qu’au cours de six décennies d’âpre lutte commerciale, c’est-à-dire depuis les années quarante jusqu’aux années quatre-vingt dix, il a été l’homme le plus futé et le plus fair-play de l’industrie musicale américaine. Quand à l’âge de dix ans, Ahmet vit jouer Duke Ellington au London Palladium, il tomba aussi sec sous le charme de la black music - A new world opened up to me - Ahmet devint littéralement obsédé par la black music. Il disait entendre son langage secret. Il se mit à vivre la nuit pour vivre la musique. Wex : «Alors que j’étais un bûcheur, Ahmet était un artiste. Il faisait tout à l’inspiration.» Wex raconte qu’un jour ils se trouvaient tous les deux dans un avion secoué par des trous d’air. : «J’avais l’estomac dans les godasses et Ahmet ne bronchait pas, plongé dans la lecture d’un essai de Kant, Critique de la Raison Pure. Arrivé en ville, j’allais directement au lit alors que lui se préparait à sortir, debout devant l’armoire à glace à choisir une cravate. Le lendemain matin, je vis Ahmet rentrer. Il racontant des histoires de rencontres extraordinaires.»

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    Oh et puis il y a ces deux pages hallucinantes que Wex consacre au Swamp, vers la fin du livre : pure magie musico-littéraire que je recommande à tout collectionneur de bonnes feuilles.

    Signé : Cazengler, wexler d’un con

    Jerry Wexler & David Ritz. Rhythm And The Blues. Alfred A. Knopf 1993

     

     

    À la vie à la Morlocks - Part Two

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    Très mauvaise période. Les planètes ne sont pas favorables, nous dit Miss T. Le pire est à craindre. Tellement à craindre qu’il en devient palpable. Alors que le chaos s’installe dans l’univers, les Morlocks montent sur scène dans un Taquin bourré à craquer. Avant même qu’ils n’aient commencé à jouer, l’air devient irrespirable. Le chaos tue la frivolité dans l’œuf, c’est bien connu. Plane à la surface de la conscience un sentiment de latence extrêmement pesant. Est-ce un hasard s’ils attaquent avec «Killing Floor» ? Il arrive que l’esprit se prête au petit jeu des mauvaises associations de pensées, raison pour laquelle il faut savoir rester vigilant. Mais tout de même, «Killing Floor» n’a rien d’un conte de fées. Les Morlocks s’était amusés à reprendre ce vieux hit de Wolf sur leur album hommage à Chess, Play Chess. Ce choix sonnait à l’époque comme un plaisant gadget, mais il prend une autre résonance sous des auspices mortifères. Diable, il faut pourtant s’efforcer de goûter le bonheur de voir une fois encore se dresser sur scène ce géant nommé Leighton Koizumi.

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    Pourquoi géant ? Parce qu’il entre dans la caste des fascinants screamers. Il n’a rien à envier ni à Gerry Roslie, ni à Wilson Pickett, ni à Bunker Hill, il sait tirer un scream long comme la galerie principale des catacombes de Denfert-Rochereau. Bonheur aussi que de revoir Bernadette jouer les locomotives sur sa belle guitare blanche. Ces deux-là font la paire, ils drivent l’un des meilleurs garage-blasting outfits d’Europe. Ils rendent ensuite hommage à Roy Loney avec une fringante cover de «Teenage Head». Ils jouaient déjà ce vieux Flamin’ hit depuis longtemps (Easy Listening For The Underachiever), mais en cette sombre soirée de janvier, il s’impose comme une évidence.

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    Ils vont ensuite taper dans l’excellent Bring On The Mesmeric Condition paru l’an dernier avec le «Bothering Me» d’ouverture de bal d’A. Well done, Mor ! Thank you Lock ! Plus loin dans le set, ils vont taper dans le tas avec «We Can Get Together», une très belle dégueulade de vieux accords déambulatoires. Leighton K screame comme une âme en pleine Sylvanie, il transperce les Perses à thèmes qui comme on sait finissent toujours par s’atteindre au pire. Tout ce rock prodigieux nous tombe sur le râble comme jadis le ciel tombait sur la tête des Gaulois, il n’y a rien que tu puisses faire pour empêcher ça. Lorsque les éléments se déchaînent, il ne te reste plus qu’à prier Dieu pour que tous nous veuille absoudre. Cette prière vient de loin, du temps où on pendait les poètes qui arsouillaient le bourgeois et les voleurs qui rimaient si richement. Le corps de François Villon flotte toujours dans l’air, suspendu à la potence de Montfaucon. Les corbeaux lui ont dévoré les yeux depuis longtemps et les Morlocks illustrent cette image d’Épinal avec «No One Rides For Free». Ils y jouent leur va-tout et optent pour un garage sauvage qui ne traîne pas en chemin. Le garage presse le pas, comme s’il devait traverser un bois la nuit et qu’il entendait hurler des loups. Mais comme Leighton K est un vrai héros des temps modernes, il rugit comme le lion de Delacroix et les loups s’éloignent. Fantastique shouter ! Tu n’en croiseras pas beaucoup de cet acabit, Akaba.

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    Les Morlocks montrent aussi des moment de faiblesse, comme tous les grands groupes, avec des titres moins consistants, tiens par exemple ce «Down Underground» qu’ils rapatrient en fin de set et qui clôt le bal d’A de Mesmeric Condition. Du son, du son, oui mais des Panzanis. Ce n’est pas si grave au fond, comparé au chaos de l’univers qu’on entend rouler par dessus l’orage sonique des Morlocks. Le tatouage que vous voyez au coin de l’œil gauche de Leighton K est une larme. Une belle larme bleue. Ce tatouage si difficile à porter signifie l’inconsolabilité des choses. Leighton K l’illustre avec «I Don’t Do Funerals Anymore». Inutile d’insister, il refuse de continuer à verser de vraies larmes. Il préfère rugir dans la nuit pour chasser les loups et accessoirement mettre le public du Taquin en transe. Fantastique ambiance ! Les gens sont là pour en croquer, ça se sent. Avec «Time To Move», Bernadette se livre à son jeu favori : faire croire qu’il va taper un shoot de Heartbreakers, comme il le fait souvent sur scène avec les Gee Strings. Il amène son «Time To Move» aux big dégoulining chords. Ça stroumphe dans le born Too Loose, c’mon time to move. Bernadette il est très chouette, il crache sa foudre à la Thunders en mâchant son chewing-gum comme un crack de cour d’école. Aboule tes billes ! Fais moi pas chier ! Bernadette règne au royaume du guitar-power, mais gentiment, car il n’est pas de mec plus soft que lui sur cette terre. Cet incroyable mélange de power et de gentillesse devrait servir de modèle à tout le monde. C’est pourtant pas difficile à comprendre, sauf bien sûr quand on est amputé du cerveau. En prime, Bernadette ne frime pas. Le spectacle de ce mec nous repose et nous console de bien d’autres spectacles. Ah la liste est longue.

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    Tiens puisqu’on parlait de tatouages : tu as vu ce qui est écrit sur les bras de Leighton K ? Sur l’avant-bras droit figure en gros caractères bien baveux et alignés sur la hauteur le mot GIMME et sur l’avant-bras gauche le mot DANGER. Ça fait quoi ? Les Stooges ! Nous y voilà. Boom ! «One Foot In The Grave», comme par hasard. Encore un cut tiré du lit de Mesmeric Condition en pleine nuit par la Gestapo. Humm, pas bon signe. Ça va mal finir, mais Leighton K s’en bat l’œil du typhon, il a été dirt but il don’t care, il lance une attaque en règle à l’Iggy-motion, il vise la pertinence de l’excellence du woooahh et les flashs in the flesh de Bernadette couronnent ce festin funéraire. Pas de cut plus macabrement terreux que ce Foot In The Grave, les Morlocks l’asticotent jusqu’à ce qu’on sente battre le pouls du cimetière, cette espèce de battement sourd qui remonte des tombes lorsque la lune est pleine et que les feux follets filent dans les allées. Ces mecs sont tout de même extraordinaires, car ils parviennent à créer de l’événement à partir d’un matériau éculé par tant d’abus. Il faut attribuer ce petit prodige à cette foi de pâté de foie qu’on retrouve chez tous les obsédés de l’obsession, celle qui par exemple conduit l’amateur de mécanique à monter un groupe de rock, ou l’amateur de rock à monter un garage Renault, oh nault nault nault ! La foi de pâté de foie est celle qui se tartine le mieux. Rien que de l’évoquer, elle donne faim.

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    Parmi les grands moments du set, il faut aussi citer «My Friend The Bird», un balladif poignant qui remonte aux origines des Morlocks, puisqu’on le trouve sur le fameux Easy Listening For The Underachiever enregistré en 1986. Aujourd’hui, «My Friend The Bird» intrigue autant qu’à l’époque et restera probablement le cut le plus attachant des Morlocks, comme peuvent l’être «Ruby Tuesday» pour les Stones et «Can’t Seem To Make You Mine» pour les Seeds.

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    Les Morlocks rendent un autre hommage de taille, cette fois à Roky Erickson, avec la reprise d’un cut tiré du premier album des 13th Floor, «You Don’t Know (How Young You Are)». Ce vieux coucou que Leighton K prend le temps de présenter n’est pas le plus connu des hits du 13th Floor et pas non plus le plus énervé. Pour finir, ils vont tirer «Easy Action» du lit de Mesmeric Condition et lui faire subir tous les outrages, mais qu’on se rassure, c’est fait pour. «Easy Action» n’ira pas porter plainte au commissariat. D’autant que l’excellent Rob Louwers le tatapoume à l’excès morlocké. C’est tellement morlocké que le Taquin chavire comme un vaisseau démâté par la tourmente. Et comme si ça ne suffisait pas, ce démon de Leighton K screame comme l’Iguane de la grande époque et c’est tant mieux. Son scream s’en va se perdre dans le chaos de l’univers, dans ce tumulte anarchique des âmes errantes qu’on ira grossir un jour. As would say my friend Jack, «le pire est toujours certain».

    Signé : Cazengler, la loque

    Morlocks. Le Taquin. Toulouse (31). 7 janvier 2020

    Morlocks. Bring On The Mesmeric Condition. Hound Gawd Records 2018

     

    ELLESMERE

    MARIE DESJARDINS

    ( Editions du Cram / 2014 )

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    INTRODUCTION GENERIQUE

    Du Canada. Quelques arpents de neige. Ne soyons pas si dédaigneux. Ronnie ’’ Oh ! Suzie Q, I love you !’’ Hawkins, pionnier émérite du rock ’ n’ roll a terminé sa vie en cette contrée. Marie Desjardins y est née. L’on a vivement apprécié deux de ses livres dans Kr’tnt, Ambassador Hotel, La mort d’un Kennedy, la naissance d’un rocker, une biographie imaginaire, une réflexion sur la malédiction du rock quand on y réfléchit un peu, reportez-vous à notre livraison 440 du 28 / 11 / 2019 pour en savoir plus.

    Et illico ( livraison 442 du 12 / 12 / 2019 ) un deuxième - parce que chez Kr’tnt quand on aime on essaie de creuser le filon - les amours d’ Hallyday et Vartan. Dit comme cela, cela fait un peu fleur bleue, un peu people. Mais une fois que vous y aviez mis le nez dedans, vous êtes obligé de vous dire, diable c’est une véritable écrivaine qui se dévoile en ces pages, du rock bien sûr, mais aussi une analyse psychologique de toute beauté, de toute finesse.

    Cette fois le titre m’était totalement énigmatique. Ne connaissais aucun rocker de ce nom-là. L’ignorance est mauvaise conseillère. Puisque le deuxième roman s’écrivait sur la couverture SYLVIEJOHNNY - notez les lettres majuscules et la suppression de l’espace entre les deux prénoms - j’en déduisis qu’ELLESMERE devait s’écrire ’’ elles mère ‘’ et qu’il s’agissait d’une étude théorique sur les relations ( freudiennes et compliquées ) entre le personnage matriarcal et sa progéniture féminine. Sympathique mais pas vraiment ma tasse de thé.

    Erreur sur toutes les lignes. Ellesmere est le nom d’une île canadienne située tout au nord. Jamais je n’avais entendu parler d’elle. J’aurais dû. C’est sur cet ilot de glace et de neige qu’en 1953, le gouvernement canadien, exila quelques dizaines de familles inuits en leur promettant un merveilleux territoire de chasse. Les malheureux n’y trouvèrent... que de la glace et de la neige. Certains eurent la mauvaise idée de ne pas survivre à ce dépaysement de choc. A tel point qu’en 1956 une deuxième fournée d’inuits fut nécessaire… Ne croyez pas que nos gouvernants soient volontairement méchants, bien sûr ils avaient une bonne raison, le sous-sol de l’arctique attire de multiples convoitises. En implantant un misérable village en ce lieu désolé, aucun état étranger ne pouvait revendiquer cette île, elle appartenait de fait au Canada, puisqu’elle était peuplée de canadiens…

    Voilà, c’est tout. C’est terminé. Non pas le livre. Juste l’introduction. Parce que le book, il cause d’autre chose. Je pense que vous n’avez pas compris. Alors je vous redonne une introduction, un peu plus rock, ce coup-ci.

    INTRODUCTION ROCK

    Attention le rock n’est pas le sujet de ce roman. D’ailleurs est-ce un roman, le titre n’ est-il pas suivi de la mention Conte Noir ? Mais le lecteur ne manquera pas de relever que le Narrateur s’empresse de déclarer que Jim Morrison a donné un concert dans un des bars qu‘il préfère.

    Par contre, question conte noir, un morceau comme The end, il est difficile de trouver pire. Déjà ça commence très mal : The killer awoke before dawn, le tueur s’éveilla avant l’aube, vous connaissez la suite : father ? / Yes, son ? / I want to kill you. / Mofher ? I want to... fuck you en un hurlement à vous glacer le sang le temps que le garnement liquide son complexe d’Œdipe.

    Il y a une ligne qui m’a toujours fasciné dans ce poème, et dans tous les livres que j’ai lus sur Jim ou sur les Doors aucun auteur ne s’arrête sur ce détail qu’ils tiennent apparemment pour insignifiant, c’est au moment crucial, après que le tueur a pris un masque dans l’ancient gallery, ce vers énigmatique : ''He went to the room where his sister lived'' un garçon poli et bien élevé, il dit coucou à sa sœurette juste avant d’aller trucider leur parentèle. On n’en saura pas plus, l’on peut comprendre qu’il était pressé, qu’il avait mieux à faire qu’à taper la causette avec la frangine, n’empêche que je me suis toujours demandé ce qui s‘était exactement passé. Pour la petite histoire le suivant est tout autant mystérieux : '' And then he paid a visit to his brother'' : à propos de celui-ci, je me contenterai d'une explication de mathématique élémentaire : killer + sister + brother = 3. Voilà, c’est tout. C’est terminé. Non pas le livre, juste la deuxième introduction.

    SI…

    Si vous étiez Marie Desjardins je vous imagine sauter sur votre ordinateur, style je ne reconnais plus personne sur ma Remington, vlan ! d’un seul jet trois cents pages sur ces pauvres inuits abandonnés sur l’inhospitalière glace ellesmérienne, dans le genre aux esquimaux tous les maux, vous nous feriez verser des larmes de compassion à faire fondre la calotte glaciaire. Avec quelle dextérité vous tendrez à vos lecteurs le bâton à snif-snif afin qu’ils battent à satiété leur coulpe pour un crime qu’ils n’ont pas commis ! Heureusement Marie Desjardins s’y connaît davantage que vous sur la menée d’un récit et la cruauté humaine. Pas une once de repentance mortifère christianologique chez Marie Desjardins, Je vous sens prêts à suivre ‘’ l’honorable John Duncan ministre des Affaires Indiennes et du Nord canadien ( … ) afin de présenter des excuses au nom du gouvernement canadien à la communauté inuit.’’ Ce qui vous épargnerait la lecture de ce livre, cette phrase étant une des toutes dernières qui terminent l’Epilogue. Les grecs nous l’apprennent, l’épilogue n’est en rien le corps du récit, aussi est-il nécessaire de se pencher sur la chair pantelante de celui-ci.

    UN TRIPTYQUE FAMILIAL

    Trois beaux enfants, la mère est aimante et le père vétérinaire. L’histoire commence comme un conte de fée. C’est peut-être pour cela qu’il y a un ogre qui arrive très vite. Pas un méchant qui surgit de nulle part. L’est tapi - lui et sa progéniture dans la douceur du foyer - c’est le père. Il aime sa femme, pose un regard distrait sur les deux petits, mais il a décidé de faire un homme de Jess son fils aîné. Qui ne se plaint pas. Qui serre les dents, qui à treize ans se lève à quatre heures du matin pour partir au loin aider une vache à vêler.

    Ne criez pas au scandale, n’appelez pas la police pour maltraitance, la vie est dure, est-ce vraiment rendre un service aux gamins de les surprotéger, de les élever comme des lavettes, dans du coton à l’eau de rose ? Jess ne sera-t-il pas présent pour prendre dans ses bras le bébé, sa petite sœur, que lui tend le docteur puisque le père est au loin auprès d’un animal malade. Pas une mauviette le Jess, s’affranchira vite de la famille, un gars qui n’en fait qu’à sa forte tête, une personnalité extrême, une espèce de chef de bande, qui organisera un trafic de drogue, qui tuera celui qui l’aura trahi, et qui s’en ira vivre à Ellesmere, devenant un des leaders de la communauté.

    Louise est plus calme, une jolie petite fille sage, qui passe son temps à dessiner et à peindre. Qui obéit à sa maman chérie et qui adore que le soir avant de dormir son grand-frère Jess se glisse dans son lit pour lui raconter des histoires. Quand elle sera plus grande il arrêtera les contes pour les remplacer par Paul et Virginie, de Bernardin de Saint-Pierre.  Un conte noir et virginal en quelque sorte.

    Nestor, on l’appelle Nes - sonorité si proche de Jess quand on y pense - c’est lui qui raconte l’histoire, pas celle de Paul et Virginie, celle de Jess et Louise. Un peu comme un palimpseste. Beaucoup comme un inceste. Sa mère dit que c’est le génie de la famille. Elle a raison. Un gros fainéant aussi. Mais il suffit qu’il saisisse un crayon pour qu’il vous abandonne un chef d’œuvre griffonné à la va-vite sur un morceau de papier. Rien à voir avec Louise qui passe ses journées courbée sur ses dessins, sympathiques sans plus. C’est tout de même Louise qui par sa critique impitoyablement persévérante l’aidera à accoucher d’un chef d’œuvre : le fameux triptyque Ellesmere ( huit mètres de haut ) qui le classe d’emblée parmi les grands peintres du siècle. C’est Jess qui avait révélé à son frère l’existence et l’histoire de l’île. Du jour au lendemain le voici célèbre, les filles sont folles de lui, vie facile, l’est devenu une célébrité, une espèce de rock-star, l’argent, la gloire, le sexe et l’alcool, le charisme, que voulez-vous de plus. Plus besoin de travailler !

    CONTE NOIR

    Et brebis sanglante. Chacun des deux garçons a réussi en son genre. Louise est à la peine. Survit en plaçant quelques dessins par-ci, par-là, s’enferme dans une écurie pour travailler à son œuvre… Elle ne sait pas se vendre. Son problème n’est pas là. Elle aime Jess et Jess est ailleurs. Il vient - rarement - la prendre et la pénétrer pour mieux l’abandonner par la suite. Le désir de la chair de l’autre ne correspond pas obligatoirement au désir d’absolu de l’une. De fait l’on ne désire que son propre désir. Louise attend celui qui ne viendra pas. Certes de temps en temps elle prend un amant, et Marie Desjardins sait peindre cette jouissive donation de la chair femelle en même temps que cette froide abstinence de l’âme captive en elle-même.

    L’histoire a une fin que je ne vous révèle pas. Car il en est encore une autre plus ténue. Imperceptible. Racontée à mots couverts, à mots tus. Le traitement inhumain de la population d’Ellesmere n’est que le haut de l’entonnoir. L’écume bouillonnante secrétée bien en-dessous par quelque chose qui n’a rien à voir avec l’accidentalité de la surface. Le goulot d’étranglement terminal qui s’ouvre sur le siphon captateur qui permet le passage en une dimension souterraine et plus intime. Jess et Nes comme deux miroirs identiques se faisant face reflétant la trouble image de Louise. Victime consentante et agissante. Le papier et le calque. La prêtresse qui se sacrifie pour des Dieux qui n’existent pas. Peut-être pour qu’ils reconnaissent qu’elle était la divinité. Mais ils n’y croient pas. Notre monde intérieur est bien plus dur que les glaces d’Ellesmere. Il a toutefois besoin d’images – on s'amuse avec elles comme on joue au docteur quand on est petits - pour en signifier la cruauté. La transparence des vols qui n’ont pas fui. Selon Mallarmé.

    THE HAWK

    Le symbole de l’épervier plane au-dessus du roman, à chaque fois abattu d’un coup de carabine… est-ce l’œil implacable du faucon d’Horus, ou celui de l’Artiste schopenhauerien, regard limpide de l’univers, ou celui unique que se partagent les trois mères goethéennes du triptyque des Grées, au fond de l’Erèbe, cette pupille de diamant noir impavide que Marie Desjardins leur a subtilisée afin d’écrire ce livre de glaces sous lesquelles brûle et flamboie le feu charnel originel. Hiérogamique. Que personne ne veut voir. Ne veut saisir. Car contraire au simple devenir humain. S'aventurer si loin... Marie Desjardins a osé. Qu'elle en soit remerciée.

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    Damie Chad.

     

    PARIS / 07 – 01 – 2020

    SUPERSONIC

    AVALANCHE / LOUIS LINGG & THE BOMBS

    EFFELLO & LES EXTRATERRESTRES

     

    Il y a remède à tout. Même à vingt-quatre jours sans concerts de rock. Une calamité sans égale, quand je pense que certains pleurent sur le changement climatique, l'Australie qui brûle, la disparition des insectes et je ne sais quels autres détails insignifiants comparés à ma terrible disette de rock'n'roll, nos contemporains ne savent pas classer les priorités dans le bon ordre ! Bref ce mardi soir je décide de passer à l'action. Pas facile avec cette valetaille de gouvernement aux ordres du CAC 40 qui empêche les métros de rouler ! Pas grand-chose à se mettre sous la dent, en dernière extrémité je me décide pour le Supersonic, un peu trop bobo à mon goût. Qu'importe, le flocon pourvu qu'on ait l'ivresse !

    AVALANCHE

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    Pour une avalanche ne sont pas trop nombreux. Trois grands garçons bien propres sur eux sur scène. Un batteur qui bourrine à mort, ne laisse pas un espace de libre, avec un tel engrenage derrière vous, vous êtes tranquille, pas de blancs troublants, pas d'erreur possible, l'avalanche de coups durs et bas, c'est lui. Le gars vous le repérez d'office à l'oreille, vous enfonce les tympans à la manière de ces béliers médiévaux qui s'acharnaient des heures durant sur les les vantaux de chêne centenaire de la cité ennemie. Bien sûr par dessous la piétaille recevait pour tout remerciement coulées d'huiles brûlantes et moellons de cinquante kilos sur la tête. S'entêtaient toutefois car ils savaient que l'ouverture forcée leur revenaient de plein droit la rapine, le viol, le meurtre, l'or et l'argent. Avec un tel batteur l'on pouvait espérer de telles horreurs, d'autant plus qu'à l'autre bout de l'estrade Jean-Denis vous maniait sa basse tel un reître vous coupant en deux de sa hallebarde sanglante. Vous aviez de ces lignes de basse capables de vous enserrer le plus large des donjons dans un rets de lianes carnivores insinuantes capables de vous desceller les pierres les plus grosses en moins de temps qu'il n'en faut pour les entendre.

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    L'on se disait, nous voici partis pour une nuit d'horreurs, une série Z métallique comme on les aime. Hélas, il y avait un guitariste. S'appelle Thierry. Ce n'est pas qu'il était mauvais. C'est qu'il était trop gentil. Caressait bien son instrument. Mais pas à rebrousse-poil. L'aurait pu le saigner bonnement, lui faire pousser de cris de goret asthmatique que l'on égorge sans plus tarder. Mais non, c'est un ami des bêtes. Pas question de les faire souffrir. Faut que la guitare ronronne en chat de salon rondouillet qui ne quitte pas le canapé. Ronron à volonté pour fine gourmette. Idem pour la voix, mélodique. S'écoute un peu jouer et chanter. Nous le fait au flegme britannique détaché qui n'y croit pas. Y aura bien de beaux passages sur No longer, I will, et Coffin, qui raviront le public, ce qui ne m'empêche pas de m'ennuyer, un peu, beaucoup mais pas du tout à la folie. Que voulez-vous le rock élimé ne convient pas aux rockers, nos gaillards sont bien dans leur style mais je suis de ceux qui crient dans la rue que tout le monde déteste la pop lisse. Sans doute ai-je tort puisque l'assistance les remercie par une avalanche d'applaudissements.

    ( Photo : FB des artistes )

    LOUIS LINGG & THE BOMBS

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    Ce coup-ci, pléthore sur le ring. Ce n'est plus un groupe, c'est une manifestation, ne sont que six mais ils sont si serrés qu'ils ressemblent à une botte de radis. Noirs. Personne parmi les lecteurs de Kr'tnt ! - du moins nous l'espérons - n'est sans ignorer que Louis Lingg fut un anarchiste américain qui à l'instar des compagnons de par chez nous – en notre douce France des années 1880 – pratiquait la propagande par le fait. Pour son maniement de la dynamite l'on aurait dû décerner le prix Nobel à Louis Lingg, mais non on préféra le condamner à mort. Comme quoi parfois les efforts sont mal récompensés. Un groupe mixte, deux filles, quatre garçons. Nous commencerons par distribuer une image à Clémence, ses parents ont bien choisi son prénom, alors qu'autour d'elle ça s'agite un max pour s'installer, elle vous sort précautionneusement d'un sac pas plus gros qu'un cartable d'écolière un petit keyboard pas plus long qu'un triple décimètre, et le pose soigneusement sur son pliant avec l'application du Petit Chaperon Rouge déposant sa galette son pot de beurre sur la table de nuit de sa mère-grand. Ne soyez pas émue par cette vision idyllique, car elle sera la première à vous catapulter sur le museau une ondée sonore de pluviosité tempétueuse. Elle mérite amplement le titre de déclencheuse de tornade numéro un.

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    Car aussitôt ça zébulone à en péter les boulons. Sont tous pris d'une vague de tressautements parkinsoniens de très mauvais aloi, s'égosillent tous en chœur Oi ! Oi ! Oi ! Aïe ! Aïe ! Aïe ! c'est parti pour trois quarts d'heure de folie douce. Z'ont le punk festif et alternatif. D'abord Josh – le plus âgé et le moins sérieux – vous balance une giclée de guitare – tout de suite échoïfiée par celle d'Arno – et la suite n'est plus qu'une sarabande échevelée. Quand à force de gigoter ils perdent un peu de peps, dans son coin Zgaygoire vous revigore les les ardeurs de trois ra-ta-plan grandignolesques sur sa batterie. Josh est le GO du groupe, il invective de son accent inimitable le public, descend de scène pour faire la bise à une fille, se lance dans un discours pour nous préciser qu'ils sont tous contents de jouer à Paris en cette période révolutionnaire – du coup ils nous interprèteront Freedom Fighter – et assure les vocals. N'est pas seul pour cette auguste tâche. L'est secondé par Julie qui micro en main répète en plus aigu les dires du boute-en-train de la maison où tout se déglinggue magnifiquement. Foutraque et charivarique.

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    Ne foutent pas le feu, mais sèment la joie. Joyeux remue-méninge anarchisant, pétards d'artifice mais ambiance chaleureuse. L'assistance remue, crie, applaudit, rit. Certes l'on sourit de ce chahut de grands enfants très sympathiques, mais c'est un peu le punk à la peinture à l'eau. Perso je le préfère à la nitroglycérine.

    ( Photos : FB : DAVE WINTER )

    EFFELLO ET LES EXTRATERRESTRES

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    Pas de panique. Les extraterrestres ne sont pas aussi nombreux qu'on pouvait le subodorer. Ne sont que trois. Et peut-être seulement deux, car question métaphysique Effello est-il lui aussi un extraterrestre ? Peut-être oui, peut-être non. Nous nous contenterons de dire qu'il est sûrement un terrestre extra. En tout cas, sont tout beaux, tout jeunes. Z'ont tout pour plaire. Portent des lunettes à montures de plastique fortement colorées. De même chacun arbore sur sa chemise noire une mince cravate, jaune beurré, verte bibliothèque, rose épineuse, ce n'est rien qu'un morceau de tissu à peine plus large que le ruban des anciennes machines à écrire, mais cela leur donne un style inimitable. Souvenez-vous de combien était content votre instituteur quand vous aviez souligné les titres de votre leçon.

    Laissez-moi ne pas être d'accord avec le refrain de leur premier morceau. Pas mieux qu'avant. Sûr de sûr que le rock était mieux avant que maintenant. Mais ils vous assènent cette contre-vérité avec l'arrogance de la jeunesse qui excuse tout. Ne sont pas là pour énoncer des vérités définitives. Sont ici pour prendre du bon temps. To have some fun. S'amuser sans se pendre la tête, pas même la notre. Ils ont le rock léger. Ne pas comprendre guitare claire. Rapide, bien emballé, à peine pesé, déjà consommé. Mais vous le servent avec un tel aplomb et un tel sourire que vous demandez une autre tranche de jambon sans gras, ou un autre vin sans alcool, ou une cigarette sans tabac, sans même réfléchir que nos prestidigitateurs ne vous vendent que du vent. Mais peut-être est-ce dû à l'absence d'un deuxième guitariste qui devrait normalement épaissir la mayonnaise à la grenadine.

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    Rien ne les arrête. L'on n'entend plus que la basse d'Arnold et la tambourinade de Grégoire, Effello est tout fier, vient de casser son ampli, rien de plus rock'n'roll, après quelques essais infructueux il s'avère que c'est la guitare qui refuse de faire son boulot, Josh ( de Louis Lingg & the Bombs ) se précipite pour lui passer son instru. Tout de suite Elleffo se lance dans un solo dont il assure illico la promo.

    Le punk, Etudiant, Jeune et beau, défilent au galop. Quelque part entre Ramones et Wampas. Le rock est-il un infusoire aussi dérisoire qu'une passoire, ou une histoire d'urinoir bouché, néanmoins libératoire. Le public bouge de plus en plus. On s'amuse, sans se poser de question. Mais ne danse-t-on pas au-dessus d'un volcan éteint !

    *

    Suis reparti à la maison, songeur et scron-gneu-gneu. Le rock deviendrait-il ersatz de consommation légère ? Peu d'ivresse et gueule de bois.

    Damie Chad.

    LA CHIENLIT

    LE ROCK FRANCAIS ET MAI 68

    HISTOIRE D'UN RENDEZ6VOUS MANQUE

    MARC ALVARADO

    ( Editions du Layeur )

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    Un max de blancs et une myriade d'images, certes un grand format mais vu la minceur des colonnes des textes, j'en déduisis en le feuilletant que ce serait vite avalé. Ben non, un mince lettrage qui fourmille de mille mots, en prime le sieur Alvarado ne prend pas les lecteurs pour des cerveaux sous-neuronés. L'a médité et planché sur le sujet, pas le gars à se contenter d'à peu près, l'a rendu visite aux protagonistes les a interrogés et surtout il a réfléchi un max. Vous rencarde sur leur pratique mais il zieute aussi du côté de la théorie. Bref c'est passionnant. Des bouquins sur le rock des seventies on en a déjà présenté sur le blogue, en fait il n'y en a qu'un avec lequel on pourrait le comparer, il s'agit de Pop Music Rock de Phillipe Daufouy et Jean-Pierre Sarton ( voir KR'TNT 305 du 01 / 12 / 2016 ), publié à chaud en 1972, écrit par des intellos, des gauchistes qui ont lu Marx, qui ont été fortement boostés par Mai 68, mais qui parlent beaucoup des ricains, alors que La Chienlit est sacrément axée sur la France.

    Ce qui ne l'empêche pas de partir de l'Amérique, puisque c'est là que tout a commencé. Le livre couvre la période 1968 - 1976, mais dans l'introduction qui est la partie la plus passionnante du bouquin Alvarado s'attarde sur le segment 1955-1965, période qu'il assimile à l'éclosion du rock'n'roll aux USA mais aussi aux mouvements des Teddy Boys en Angleterre et aux Blousons Noirs en France. L'on ne peut toutefois employer les termes de culture underground pour qualifier cette première période. Il préfère de beaucoup la notion de sous-culture. Le rock naît dans les milieux prolétariens. Il ne propose rien de neuf, il s'oppose. Le rock est le refus d'une vie normalisée. Travaille et tais-toi. Une attitude intransigeante qui se traduit par le recours à la violence. Du cassage, du saccage, sans ambition. Formations de bandes, naissance des groupements de rebelles tous azimuts tels les groupes de bikers. Mais le rock ne déborde pas, son idéologie ne se propage pas, il essaime en multiples points de fixation, il est en guerre larvée contre le monde entier, et se referme sur lui-même.

    C'est entre 1966 et 1968 que la situation va se métamorphoser. Une nouvelle génération arrive sur le marché. La société américaine bouge de partout. Les intellectuels comme Marcuse produisent une virulente critique de la société de consommation qui se met en place. Les consciences flamboient : toute une partie de la petite-bourgeoisie estudiantine rejoint le combat des Droits Civiques entrepris depuis longtemps par les populations noires, la guerre du Vietnam et la conscription qui s'ensuit radicalise les positions des jeunes appelés, pourquoi aller mourir dans une rizière alors que l'on s'attendait à profiter de la consommation à outrance promise, la société capitaliste du profit se prend les pieds dans ses propres contradictions, elle vous claque sur le nez la porte d'abondance du paradis alors même qu'elle les a tenues grand-ouvertes pour vous faire miroiter une vie délicieuse... Mais l'esprit qui s'éveille a besoin d'un corps pour véhiculer ses désirs. Hélas, une fois que vous avez goûté aux fruits du péché, vous êtes perdu pour toujours, voici que la modération puritaniste vole en éclats, et que les drogues vous permettent d'aborder à de nouveaux rivages... Il ne s'agit plus de s'enfermer dans un dégoût ulcératif de l'ancien monde, mais d'offrir un programme de vie particulièrement alléchant : paix, amour libre, accession à de nouvelles réalités spirituelles, la jeunesse s'enflamme pour ce nouvel idéal. Le rejet prolétarien dû à des frustrations classistes est remplacé par l'acquisition jouissive d'un futur proche à portée de main. Are you experienced interroge le premier disque de Jimi Hendrix. Ce n'est pas une demande, plutôt un mot d'ordre, une invitation baudelairienne qui ne se refuse pas...

    Mais retournons en France. Mai 68 fut une commotion. Rien ne pouvait plus être comme avant. Tout devait changer. Surtout en musique. N'était-elle pas le fer de lance des changements survenus en Amérique et en Angleterre ? Nombreuses furent les tentatives de réponse apportés par des groupes engagés en des cheminements différents.

    LA TENTATION POLITIQUE

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    Avant tout Mai 68 relève de la grande politique. Son principal moteur ne fut-il pas une grève générale dont l'ampleur ne fut jamais égalée par la suite. Mais si toute une jeunesse rêvait à fonder un nouveau monde, dans les têtes circulait plus ou moins en catimini que cette éclosion espérée se devait d'être précédé de la destruction de l'ancien monde. Il est à craindre que ces pensées aient été suscitées par la Révolution Culturelle qui se déroulait en Chine depuis déjà deux années. Un superbe nœud de contradictions. Si vous voulez une programmatique révolutionnaire vos paroles risquent de se réduire à des slogans. Répétitions de vieilles ritournelles connues de tous. Si vous désirez casser la vieille musique, il suffit de prendre son instrument, en oubliant tout ce que l'on a appris, ou encore mieux tout ce que l'on ne sait pas, et de se lancer dans une espèce de galimatias phonique. Dix années plus tard les punks reprendront cette idée que n'importe qui peut être musicien s'il le veut. Mais cette destruction des formes de l'ancienne musique n'avait-elle pas déjà été opérée par la New Thing au début des années soixante. Mais bizarrement ces musiciens de jazz américains qui se lancèrent dans cette entreprise étaient les héritiers d'une longue tradition musicale qu'ils essayèrent de dynamiter de l'intérieur à leur manière.

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    Red Noise, le bruit rouge, et Komintern issu d'une scission du précédent, rappelons que le nom est une référence directe à l'Internationale Communiste russe chargée de répandre la révolution au monde entier, furent des groupes activistes, dignes représentants de cette ultra-politisation des consciences musicales françaises, Red Noise participa de près aux événements de Mai 68, et Komintern fut très engagé pour détourner les premiers festivals pop de leur mission première : donner simplement à voir et à entendre contre contribution financière de la ''bonne musique'' aux amateurs, la philosophie de cette avant-garde rock était toute autre, que le spectacle se transforme en libératoire fête sauvage avec en première revendication l'entrée libre, comprendre en force et non-payante.

    MAINTENANCE DE LA TRADITION

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    N'entendez pas ce titre comme un retour à une vision politicienne des plus droitières. Nous évoquons la continuité musicale, celles du blues et du rock. Alan Jack Civilization, pour illustrer le premier courant. Le blues entrevu en tant que longue dérive instrumentale, le groupe vit en collectivité dans une ferme, l'on fume et l'on joue des heures durant... Peu d'enregistrements subsistent, l'expérience ne déboucha sur rien de bien valide même s'il reste l'une des plus authentiques incarnations du mythique esprit de Mai...

    Les Variations illustrèrent magnifiquement le versant rock'n'roll de l'époque. Sans chichis et sans fioriture. Des pionniers en leur genre. Le premier groupe français à pouvoir rivaliser avec les anglais. Ils trouvèrent leur public en province car l'intelligentsia parisienne les ignora. Entre 1964 et 1968, il y eut une coupure en France dans la transmission rock. Ce n'est qu'en 1969 que le rock revint en force, mais les ''élites'' journalistiques et le public firent en grande partie l'impasse totale sur tout ce qui s'était passé avant leur advenue dans le monde nouveau du rock dans lequel ils s'engageaient. L'on ne se défait pas de ses atavismes petits-bourgeois facilement, les Variations furent jugés trop primaires, trop efficaces, pas assez subtils... Faudra que les Stooges remettent les pendules des consciences à l'heure mais cela est une autre histoire.

    MAGMA

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    Le groupe à part. Qui met aujourd'hui tout le monde d'accord. Mais à l'époque seule une infime partie du public les reconnut. La majorité s'accorda pour juger leur musique trop complexe ou trop brutale. C'est que Magma fut selon moi le seul groupe fusionnel qui existe dans le rock. Qui réussit à réunir en un même creuset la virtuosité jazzistique, le savant héritage de la musique classique européenne et la violence innée du rock'n'roll. Haut niveau d'incandescence. L'instinct primal et l'intellectualité exacerbée. Si vous prenez Magma comme mètre étalon pour juger de la pop française des années 68-76, tout le reste risque de vous apparaître fade...

    LES VOIES DE GARAGE

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    Le mal français dans toute sa splendeur. Qui vient de loin. De la tradition de la chanson rive gauche qui privilégie le texte au détriment de la musique. Attention l'intelligence des lyrics est nécessaire, combien monotones sont les babies qui ouvrent leurs jambes sur les banquettes arrières des Cadillac dans le rockabilly par exemple, mais porter aux nues de la haute poésie insurpassable des textes de simple bonne tenue brouille quelque peu la vision des choses. Autre problème : celui des maisons de disques, qui eurent tendance à se rattacher aux vieilles branches des continuités incapacitantes mais surtout celles des producteurs qui dans leur grande majorité ne possédaient aucune culture rock dans leurs gênes. Troisième facteur, peut-être le plus déterminant, en mai 68 il n'y avait que très peu de musiciens de rock en France, ce sont des musiciens de jazz qui se sont collés à la tâche. Avec toujours ce petit côté condescendant vis-à-vis du rock. Le problème c'est que quand l'on touche au rock'n'roll avec des pincettes, soit l'on part au mieux dans une dérive progressiste, soit l'on retombe dans les patterns de la variétoche légèrement améliorée. Triangle et Martin Circus sont les groupes phares de cette perte de dynamisme entraîné par ces facteurs conjugués.

    FOLK'N'PROG

    Marc Alvarado ne tarit pas d'éloges sur Allan Stivell qu'il met à égalité avec Magma. Ce qui est fortement exagéré. Certes Stivell sut creuser son sillon et son originalité. Mais même électrifiée sa harpe celtique s'inscrit davantage dans le mouvement folk que dans le rock. Ce qui n'est pas un mal en soi, mais alors pourquoi des groupes comme Malicorne pour n'en citer qu'un sont quasiment absents du book...

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    Pink Floyd vendit en ses débuts plus d'albums en France qu'en Angleterre... en 1973 le public français se pâmait en écoutant Tales from topographic oceans de Yes... Gong, Alice, Ame son, Atoll et Ange furent les dignes représentants de cette tendance en nos contrées...

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    Le serpent finit toujours par se mordre la queue. Ce sont les chanteurs de variété qui raflèrent la mise. Michel Polnareff, Bernard Lavilliers, Nino Ferrer, Jacques Higelin, et jusqu'à Léo Ferré, qui surent profiter chacun à leur manière de la vague pop-rock, difficile de jauger au plus près la hauteur d'opportunisme et d'authenticité de leurs engagement...

    BILAN

    Le livre est beaucoup plus fouillé que ma rapide et partiale analyse. Outre l'intérêt musical – non il n'offre pas l'espéré CD qui aurait été bienvenu pour les groupes les moins connus – le lecteur se penchera avec une curieuse volupté pour ceux qui n'ont pas connu cette période et avec nostalgie pour les vieux baroudeurs, sur tous les chapitres sur les aspects sociologiques de la période. Notamment l'évocation de cette presse rock qui éclate en feu d'artifice – Pop Music ( hebdomadaire ), Best, Extra, Pop 2000 – mais surtout celle qui se réclama d'une vision existentielle comme Tout, Actuel, Parapluie, Atem qui agitèrent le rêve prométhéen alternatif d'une culture underground... Les grandes retombées de Mai 68 ne furent pas vraiment musicales. Par contre les mœurs en furent bouleversées et le rapport à la hiérarchie fut fortement désacralisé. Nous vivons encore sur ces deux acquis...

    Le livre s'arrête en 1976. En 1977, tombe tel le couperet de la guillotine le No Future punk. Le rêve est terminé. Les temps se tendent...

    Damie Chad.